L’ATMOSPHERE
L’ATMOSPHERE
On peut se demander pourquoi Titan est doté d'une atmosphère alors que d’autres satellites, de taille comparable (Ganymède, Europe...), en sont dépourvus. Outre leur température supérieure, favorisant l'échappement d'une atmosphère primitive éventuelle par agitation thermique, on peut mettre en cause l'acquisition de l'atmosphère par impacts cométaires: le champ gravitationnel de Saturne étant très inférieur à celui de Jupiter, les impacts s'étant produits à la surface de Titan ont été moins violents que sur les satellites galiléens (Williams DM & al., 1997), ce qui a évité (au moins partiellement) la destruction de cette atmosphère primitive.
Composition.
Bien que l'aspect de Titan dans le visible soit décevant (une boule orangée, certains nuages ayant été identifiés à 250 km de la surface), les spectromètres IR et UV de la sonde permirent d'analyser la composition de la haute atmosphère: entre 82 et 94 % d'azote, puis environ 8% de méthane ainsi que de de l'argon (Khare & al., 2001). La présence d'argon a été confirmée par Huygens, et signale une géologie active. La quantité d'un isotope de l'Argon, le 40Ar, conduisent à penser que l’azote de Titan ne provient pas du dégazage de clathrates mais d’ammoniac (ou d’hydrates d’ammoniac) présent dès la formation de saturne, secondairement converti en azote par photochimie et/ou action des hautes températures causées par des chocs météoritiques (je rajouterais une autre possibilité: l’action de micro-organismes profonds effectuant la réaction NH3 -> N2, bien que la plupart, sur Terre, catalysent la réaction inverse).
Cette sonde a également précisé la teneur en méthane, qui passe de 1,5 % seulement en altitude à 5 % près du sol.
Voyager avait indiqué que le taux de CH4 variait à la surface de 6% à l’équateur à 2% au niveau polaire. (Samuelson RE, Nath NR, Borysow A. Planet. Space. Science 45, 1997, 959). Les meilleures mesures donnent, vers 1000 km d’altitude, une teneur de 1,6 ± 0,5 %. Le CO, à la même altitude, est présent au taux de 4,5 ± 1,5 x 10-5 (et perdure 1 milliard d’années - il devrait rester constant dans l’atmosphère car, contrairement à CH4, il ne se condense pas).
Un enrichissement en 12C est aussi noté, (rapport 12C/13C de 95,6 ± 01 où 93.8 ± 1,9 selon les méthodes de mesure alors qu’il est sur la Terre de 89,01 ± 0,38). Sur notre planète, 10 % de cet enrichissement sont causés par une activité biologique. Sur Titan un effet biologique est considéré peu probable (mais pas impossible!) et cet enrichissement pourrait provenir des conditions physiques régnant à la surface, et mettant le méthane au voisinage de son point triple (comme l’eau sur Terre): les isotopes lourds resteraient plutôt dans une phase liquide ou solide, expliquant le déficit de la phase gazeuse analysées dans l’atmosphère selon Hunter Waite & al. Toutefois, l'équipe de chercheurs reconnaît que cette situation n’est pas claire, et que de nouvelles mesures, réalisées avec d’autres instruments de Cassini, sont nécessaires.
Des molécules organiques impliquées dans différents modèles de chimie prébiotique, comme le cyanogène et le cyanure d'hydrogène, ont aussi été détectées, ainsi que des alcanes comme l'éthane et le propane, des nitriles (également par des observations terrestres) et des traces de vapeur d'eau (par le satellite ISO).
L'atmosphère de Titan ne contient quasiment pas d'oxygène (bien qu’une faible quantité d'O puisse conduire à des molécules oxygénées (Bernard & al., 2003) comme l’ oxyde d'éthylène C2H4O), cet élément étant présent seulement sous forme de monoxyde de carbone CO, ce qui n'est pas sans poser problème: ce gaz s'échappe de l'atmosphère bien plus vite qu'il n'est produit, ce qui implique soit l'existence d'un "réservoir "de grande capacité (un océan riche en méthane (Dubouloz & al 1994) soit une origine récente, volcanique ou cométaire (Lara & al., 1996).
De l'ammoniac NH3 a aussi été obtenu dans des simulations de l'atmosphère titanienne. Les premiers résultats de Voyager sur le rapport Ar/N laissèrent entendre que l'azote de Titan était resté sous cette forme depuis la formation du satellite. Les mesures de Huygens ont infirmé cette conception, laissant entendre que l'azote atmosphérique s'est formé par décomposition photolytique d'ammoniac primordial.
Le 3 juillet 1989, Titan occulta l'étoile 28 Sgr, ce qui permis d'obtenir de nouvelles données sur son atmosphère et de confirmer l'existence de changements saisonniers de son aspect et peut être, de sa composition.
L’occultation des étoiles spica et Shaula a permis d’identifier dans l’atmosphère de Titan, entre 450 et 1600 km d’altitude, de l’acéthyléne, de l’éthylène, de l’éthane, du diacétylène et du cyanure d’hydrogène. (Shemansky DE, Stewart AIF, West RA et Esposito LW - the cassini UVIS stellar probe of the titan atmosphère). Ces hydrocarbures, ainsi que les nitriles, sont formés par la dissociation UV de N2 et par l’impact d'électrons venant de la magnétosphère Saturnienne. Le C2H4 voit son taux évoluer rapidement, des données discordantes existant entre les mesures au sol (Keck - donnant des niveaux supérieurs) et l'instrument CIRS au sujet d’un enrichissement de l'atmosphère pour ce gaz au niveau pôle S. Cette molécule étant détruite en 150 à 180 jours seulement par photochimie, le faible enrichissement observé au pôle par Cassini s'explique aisément.
André Brack, responsable du seul (!) laboratoire d'exobiologie français, à Orléans, déclarait que c'était "une atmosphère " à la Miller" dont rêvent les chimistes du prébiotique."
Néanmoins, les seuls gaz détectés ne sauraient expliquer l'aspect brumeux et opaque de l'atmosphère. Celle-ci est obscurcie par des molécules bien plus complexes. On peut supposer que ces molécules qui se forment dans la haute atmosphère (200 km d'altitude, - 100 °C) grâce à l'énergie des divers rayonnements solaires, à l'influence de la magnétosphère de Saturne et aux ions Mg d'origine météoritique (Petrie S., 2004). En effet, cet ion intervient sous forme de radical MgNC dans la formation de nombreuses molécules organiques formant dans l'atmosphère un aérosol de particules de 0,3 mm qui contribue à masquer la surface de Titan avant de sédimenter ensuite sur le "sol" pour former des couches pouvant théoriquement atteindre une centaine de m d'épaisseur.
Reconstitutions en laboratoire.
Il y a assez peu d'équipes qui travaillent sur l'environnement de Titan. Les noms des chercheurs ayant travaillé avec le célèbre et regretté Carl Sagan, de l'université Cornell, reviennent souvent dans les publications. Nul doute que les futurs résultats permettront de motiver et former une nouvelle génération de chercheurs.
Depuis 1986, la haute atmosphère de Titan (CH4 sous quelques dixièmes de bar) a été reconstituée plusieurs fois en laboratoire: dans les divers modes opératoires, un mélange de 9 parties de diazote pour une de méthane est bombardé de particules chargées représentant les protons et électrons pris au piège dans la magnétosphère de Saturne (Khare & al., 2001).
Les protocoles expérimentaux peuvent également prendre en compte d'autres sources d'énergie, comme les rayonnements UV solaires où les éclairs. C'est le cas dans le film réalisé par l'ESA dans le labo de C Raulin (extraits) que j'ai remonté afin de montrer le montage expérimental: un tube contenant le mélange de gaz est immergé dans de l'azote liquide, l'énergie étant fournie par décharges électriques.
Ne perdons pas de vue que ces reconstitutions sont des équivalents, non des reproductions fidèles, de l'atmosphère de Titan.
La section CHARM propose un dossier sur la chimie de l'atmosphère de Titan: Titan: The Solar System's Abiotic Petroleum Factory (Titan, l'usine pétrolifère abiotique du système solaire)
Dans toutes ces reconstitutions, les équipes de recherche ont obtenu un mélange de molécules organiques d'une couleur évoluant du jaune - orangé vers le noir. Ce mélange a été nommé tholine (d'après le terme grec tholos, boueux), et il présente des caractéristiques spectrales correspondant à celles de la brume obscurcissant l'atmosphère Titanienne (Khare, Sagan & al., 1986). "La" tholine résulte de l'évolution de nombreux nitriles et hydrocarbures différents (Pietrogrand & al. 2001). Son hydrolyse acide conduit à la synthèse d'un maximum de 6% d'acides aminés, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH) ainsi que d'acides nucléiques.
L'hydrolyse acide de la tholine, possible lors d'impacts sur Titan ou dans les profondeurs du satellite, conduit à la formation de 16 acides aminés représentant entre 1 à 2 % de la tholine hydrolysée (exactement 9,79 mg d'AA/g de tholine accompagnés de la formation de 10,30 mg d'urée /g de tholine).
La liste ci dessous donne les proportions des différentes molécules formées en mg/g de tholine.
Glycine: 5,3
Acide amino butyrique et ses dérivés: 0,81
Acide glutamique: 0,40
Alanine: 0,70
Acide aspartique: 1,10
Bêta alanine: 1,20
N methylglycine: 0,18
acide alpha-bêta di amino propionique: 0,10
On doit y ajouter les acides aminés Thréonine, Isovaline et Valine qui sont formés en très faible quantité.
L'analyse in situ réalisée par l'instrument ACP (pyrolyse) de Huygens a révélé que les particules de l'atmosphère de Titan sont particulièrement riches en ammoniac NH3 . En fait, la tholine est un mélange de plus d'une centaine de molécules différentes, parmi lesquelles:
• nitriles et amines
• pyrroles et pyrazines
• pyridines et pyrimidines (Huygens a confirmé la présence dans l'atmosphère d'acide cyanhydrique (HCN), un précurseur des acides aminés et des bases des acides nucléiques.)
• adenine
Les acides aminés susceptibles de se former à partir de tholine en présence d'eau en milieu acide sont au moins au nombre de 16, parmi lesquels glycine, acide aspartique, alpha et bêta alanine sont les plus abondants.
Les PAH représenteraient 10 % des nuages de l'atmosphère (Sagan & al., 1993). Ils comportent entre 2 et 4 cycles (chrysene par exemple, particulièrement abondante dans le milieu interstellaire). Ces molécules représenteraient 0,01 % de l'atmosphère (en masse). Des composés chimiques similaires ont également été détectés sur un des hémisphères de Japet, autre satellite de Saturne.
Une des particularité de l'atmosphère de Titan est liée à cette production atmosphérique d'hydrocarbures variés: la formation et la condensation d'alcanes simples (méthane, éthane) produisent des pluies d'hydrocarbures, ce qui fait de Titan le seul corps du système solaire, avec la Terre, à posséder à sa surface un élément à l'état liquide en grande quantité. En effet, la température de surface de Titan a été estimée à - 180 °C, ce qui permet le maintient des hydrocarbures à l'état liquide, et se rapproche même de la température de liquéfaction de l'azote (- 196 °C à 1 bar). Les mesures de Huygens confirment une température au sol de - 179 °C.
A 22000 km de distance, voyager 1 a réalisé cette vue de profil de l'atmosphère de Titan montrant une brume d'altitude (bleue) surmontant de 500 km des nuages opaques orangés. - photo JPL - cette brume reflète la lumière solaire et est à l'origine d'un refroidissement supplémentaire de la surface de 7°C environ (Kasting, 2004).
Vue à contre jour par voyager 1, l'atmosphère de Titan apparaît nettement. Photo JPL/NASA
Tholine synthétisée dans le laboratoire de F Raulin. Photo extraite d'un film ESA/Raulin
Nuages clairs sur Titan le 13/12/2004 - JPL
Le survol à 1000 km d’altitude de Titan réalisé le 16 avril a révélé que les couches supérieures de l’atmosphère sont bourrées d’hydrocarbures complexes. La haute atmosphère de Titan se révèle être une usine à molécules organiques, ces dernières étant très diversifiées, comme l’a montré le spectromètre de masse de la sonde. On se trouve en présence d’un mélange moléculaire à base de CH et de CN, certaines molécules comprenant jusqu'à 7 atomes de C (ce qui est le cas, par exemple, de toutes les bases azotées servant de briques à l'ADN et l'ARN !).
Cette intervention de la haute atmosphère est surprenante, et pourrait expliquer l’origine de matière organique dans d’autres régions du système solaire. Les chercheurs sont surpris de trouver ces molécules si haut dans l’atmosphère alors qu’en raison de la basse température de Titan ils pensaient qu’elles se condensaient sous forme de pluies vers la surface. L'examen de la surface révélant bien des traces d'écoulement liquide, on doit en conclure que la formation de ces molécules est particulièrement rapide, ou leur condensation très lente.
Le spectromètre visible et IR de Cassini a permis de mettre en évidence des nuages d'éthane (C2H6) au niveau du pôle N de Titan. Cette découverte conforte les modèles présumés de l'atmosphère du satellite. Les spectres ont été obtenus lors du survol du 22 juillet 2006. Ces nuages sont situés entre 30 et 60 km d'altitude, et s'étendent au niveau du cercle polaire de Titan, entre 50 et 70 ° de latitude au minimum, la région polaire N n'étant pas éclairée avant 2010. Il est possible que cet éthane se condense sous forme de pluie et/ou de neige, et s'accumule lentement au niveau polaire, permettant ainsi le maintient de la composition de l'atmosphère du satellite en l'absence des océans de méthane attendus. Les images disponibles du pôle S montrent une calotte de quelques km d'épaisseur, mais sa composition est sujette à caution.
Un film de l'ESA montrant les reconstitutions au sol de l'atmosphère de Titan
L’interaction de l’atmosphère primitive des planètes avec le rayonnement solaire peut avoir constitué, Titan le prouve, une source non négligeable de matériaux organiques et de molécules complexes fournissant les premiers stades de l’évolution moléculaire qui devait, au minimum sur notre terre, conduire à la vie.
La très basse température (l'azote liquide est utilisé sur Terre pour conserver indéfiniment les échantillons biologiques, les spermatozoïdes et les embryons) de Titan aurait "gelé" toute évolution vers l'apparition de la vie. A en croire T. Owen, du voyager Team, Titan garderait "au congélateur" les premières étapes chimiques conduisant à la vie. Cependant, nous verrons qu'il existe quelques possibilités pour que ce "congélateur" ne soit pas aussi performant, et qu'une chimie prébiotique plus complexe que prévu ai pu se développer à la surface du satellite avant de se réfugier à l'intérieur de celui-ci..
On peut supposer valablement que l'atmosphère de Titan soit le cadre d'une dynamique comparable à celle observée sur Terre, avec des cellules de convection. Toutefois, il ne faut pas oublier que, vu la faible gravité de l'astre, l'extension de l'atmosphère (son épaisseur) est dix fois supérieure à celle de la Terre: alors qu'à 400 km d'altitude au dessus de la Terre nous sommes dans l'espace, une altitude similaire autour de Titan nous situe encore dans son atmosphère...
Interactions avec les rayonnements
Titan est le lieu d'un effet de serre causé par H2, N2 et CH4, ces 2 derniers présents en abondance (Scatterwood & al., 1987). La présence de méthane est énigmatique, car il ne peut se maintenir dans l'atmosphère. En effet, les photons UV le décompose en un radical méthyl CH3 et un atome d'H à une altitude comprise entre 350 et 750 km (dans 41 % des cas - Coll, 2005). Le méthyl contribuera à la synthèse des molécules de la tholine tandis que l'hydrogène s'évade dans l'espace, et forme autour de Saturne un tore d'hydrogène neutre centré sur l'orbite de Titan et s'étendant jusqu'à l'orbite de Rhéa (l'existence de ce nuage d'hydrogène neutre a été confirmé par Cassini - animation ici). La présence d'un disque de plasma comportant des ions H et O s'étendant entre l'orbite de Titan et celle de Téthys suggère peut être l'émission, actuelle ou passée, d'autres molécules ou espèces chimiques par l'atmosphère de Titan.
L'absence de champ magnétique, qui place directement l'atmosphère "sous les feux du soleil" contribue à entretenir ces synthèses, bien que l'extension fluctuante de la magnétosphère de Saturne exerce également un effet à ce niveau. En effet, Titan est, au cours de son orbite, parfois noyé dans la magnétosphère de Saturne et parfois directement exposé au vent solaire.
Il est possible que les interactions entre l'atmosphère de Titan et la magnétosphère de Saturne induisent un champ magnétique lié au satellite (comme pour Vénus), champ qui pourrait aussi être causé, comme pour la Terre, par un effet dynamo lié à un intérieur métallique; mais n'a pas été encore détecté à ce jour.
Vous pouvez écouter les émissions radio en provenance de la magnétosphère, elles ont été enregistrées par l'instrument RPWS de la sonde Cassini et sont étudiées par une équipe de l'université de l'Iowa.
Les interactions entre la magnétosphère de Saturne et l’atmosphère de Titan sont donc intenses. De nombreux champs magnétiques sont induits et guident une grande variété d’ions dans l’exosphère Titanienne, avec laquelle ils interagissent de façon bien plus intense et plus complexe que prévu. De nombreux atomes neutres énergétiques sont formés, à des altitudes qui varient selon l’activité de la magnétosphère de Saturne et la position de Titan. Ces atomes représentent une source d’énergie pour les réactions chimiques atmosphériques.
Une équipe du Laboratoire de Planétologie de Grenoble, dirigée par R. Thissen, a reconstituée trois mélanges gazeux pouvant décrire la haute atmosphère de Titan et les a soumis à divers rayonnements reproduisant le milieu de la haute atmosphère du satellite. Ils ont obtenus une production d'ammoniac et de HCN, qui peuvent donc être d'origine atmosphérique. Par contre, différents éléments observés par Cassini et non synthétisés en laboratoire laissent penser que la chimie de surface de Titan est intense, et aboutit à nombre de synthèses d'hydrocarbures (Thissen & al., 2009).
L’origine du méthane et de l’azote
La continuelle destruction du méthane implique que le % de ce gaz doit varier fortement, modifiant par conséquent le climat global de Titan de façon cyclique. En effet, l'atmosphère de Titan devrait être totalement détruite par photolyse en 50 millions d'années "seulement" (Lunine & al.). Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer sa régénération permanente:
- évaporation à partie de grandes étendues liquides à la surface (la faible chaleur dégagée par Huygens a provoqué une telle évaporation - Niemann & al., 2005)
- infiltration à partir de la croûte, d'origine purement minérale (Kossacki & al., 1996)
- cryovolcanisme
- activité biologique de micro-organismes profonds (Fortes, 1999; Simakov, 1999). Toutefois, les mesures des rapports isotopiques 12C/13C réalisés par Huygens excluent a priori une origine biologique de ce gaz.
L'équipe d' H Roe (Roe, 2005), utilisant des télescopes géants au sol (le Keck de 10 m et les Gemini de 8 m - voir photo tirée de science 310) a repéré 24 nuages en 82 nuits, confirmant que la formation de méthane n'est pas un phénomène rare. Toutefois, tous les nuages observés se situent vers 40 ° S. Il est probable que ce confinement en latitude soit lié à la circulation de l'atmosphère de Titan, mais ce n'est pas le cas en ce qui concerne la longitude: les nuages sont plus fréquents vers 350°W, ce qui laisse supposer l'existence d'une source locale de méthane de type geyser ou cryovolcanisme (l'effet d'une chaîne de montagnes arrêtant les nuages semble exclu, les reliefs connus de Titan ne dépassant pas la centaine de m...).
En conclusion, ces travaux montrent que, outre une circulation atmosphérique active, Titan régénère son méthane a partir d'une source "chaude" bien localisée à ou dans sa surface...
Les analyses de la fraction solide de la tholine, qui précipite à la surface (Sarker & al., 2003) montrent que les molécules atmosphérique contiennent une part appréciable d'azote, ce qui veut dire que l'atmosphère de Titan perd également ce gaz de cette façon.
Cette évasion pourrait aussi, selon moi, avoir été provoquée par un passé bien plus chaud où l'agitation thermique, combinée à la faible gravité, à provoqué la perte de la majeure partie de l'atmosphère, jadis 3 fois plus épaisse. On peut aussi remarquer qu'un déséquilibre de ce type peut aussi résulter, du moins partiellement, d'une activité de type biologique, ainsi que de la sédimentation des molécules azotées lourdes formées dans l'atmosphère.
Vents et nuages
L'atmosphère de Titan constitue un système très complexe, de 1600 km d'épaisseur, et sa très basse température permet à des espèces chimiques de se maintenir "hors équilibre". Les relations entre la photochimie qui s'y déroule, les aérosols et la dynamique atmosphérique sont très mal connues. Des modèles permettant de coupler 2 de ces grandeurs ont été élaborés (Lebonnois S, 2000) et mettent en évidence des effets saisonniers ainsi que des mouvements atmosphériques complexes qui sont très dépendants de la composition chimique exacte de l'atmosphère (y compris à basse altitude), trop mal connue pour le moment. Des observations d'occultations stellaires (Bouchez, 2004) indiquent que les vents de haute altitude (courants-jets) atteindraient des vitesses maximums vers 60° de latitude N (230 ± 20 m/s soit 830 km/h!) alors que leur intensité serait "minimale" au niveau équatorial (110 ± 40 m/s soit 400 km/h). Un transfert saisonnier des brumes a été mis en évidence entre les deux hémisphères (Lorenz & al., 2004).
Cassini a mis en évidence l'existence de nuages transitoires ainsi qu'une structure plurilaminaire de l'atmosphère. Bien que l'expérience de Huygens sur la vitesse des vents n'a pas pu transmettre ses données, les observations du décalage Doppler des signaux de la sonde confirment une vitesse des vents dans la haute atmosphère atteignant 400 km/h. Cependant, la plupart des vents de haute altitude ont une vitesse de l'ordre de 120 à 130 km/h, vitesse qui s'annule vers 80 km d'altitude (où la température atteint un maximum), de façon totalement imprévue. Près du sol, les vents ne possèdent qu'une vitesse modérée. L'atmosphère est donc plus calme (vents d'ouest 3 fois moins véloces que prévu, par exemple) que les modèles ne le prévoyaient.
Il apparaît clairement que la dynamique des vents sur Titan n'est pas gouvernée majoritairement par les inégalités de répartition du rayonnement solaire (comme sur Terre) mais plutôt par l'influence gravitationnelle de Saturne, qui exerce sur cette atmosphère des effets de marée 400 fois supérieurs à ceux exercés par la Lune sur notre planète.
Le survol du 29 décembre 2006 à permis d'imager (par le VIMS - visual and infrared mapping spectrometer) un nuage géant de méthane et d’éthane de 2400 km de diamètre qui s'étend du pôle jusqu'à 60° de latitude N, recouvrant une bonne partie de l'hémisphère N. Peut-être est-il à l'origine des précipitations qui ont rempli les lacs récemment découverts à ces latitudes.
L'équipe de Griffith (Science 310, 21 octobre 2005, 474-480 - cf. ci contre), utilisant l'instrument VIMS de Cassini, a montré que les nuages de méthane, localisés aux latitudes moyennes, se déplacent à une vitesse de 36 km/h (contrairement au pôle S, où se produisent des tempêtes saisonnières durant plusieurs semaines) et sont probablement constitués de gouttelettes de taille millimétrique. Ils peuvent se dissiper en une demi heure. Des mouvements convectifs ont également été mis en évidence. Ces mouvements rapides (un des nuages est passé de 20 à 42 km d'altitude en 35 mn) impliquent l'existence d'une source de chaleur sur Titan (volcanisme?).
Les chercheurs espèrent pouvoir observer une telle alternance, ce qui ne sera possible que si Cassini est arrivée en orbite vers la fin d'un de ces cycles de 25 années.
(ci contre: nuages observés le 7 septembre 2006, en fausse couleurs. Les nuages sur Titan fonctionnent «au ralenti»: leur formation est plus lente, et leuur durée de vie supérieure, à ce que nous observons sur notre planète à l’atmosphère «surchauffée» - photo JPL)..
Dans la revue Science du 13 janvier 2006, Rannou & al. proposent un modèle décrivant la dynamique de l'atmosphère de Titan, et plus particulièrement les différents nuages que l'on peut y observer.
Il en ressort que l'atmosphère de Titan présente de nombreux points communs avec celle de la Terre (Lellouch, 2006), le cycle de l'eau étant remplacé par celui du méthane. On distingue des nuages isolés, à évolution rapide (quelques heures) localisés à des latitudes moyennes (40°S), et de grandes formations analogues à des tempêtes, perdurant plusieurs semaines et caractéristiques des régions polaires.
Au delà des couches proches de la surface, la troposphère est modelée par des processus de type radiatif plutôt que par des courants de convection. Toutefois, les nuages des latitudes moyennes se forment au sommet d’une mince couche convective, au niveau des zones ascendantes de l'atmosphère. Ce sont les molécules issues de l'activité photochimique de la haute atmosphère qui, se condensant et retombant vers la surface, fournissent les supports nécessaires à la condensation de méthane sous forme de gouttelettes à l'origine des nuages observés. D'après l'équipe de Rannou, l'atmosphère de Titan serait structurée par deux cellules de Hadley (cylindres convectifs) de taille différente, s'étendant sur environ 60 ° de latitude; et par deux autres cellules, plus petites et déformées, dans les régions polaires (ce qui revient à supposer l'existence d'une épaisse couche nuageuse de méthane au niveau du pôle N). La circulation atmosphérique provoquerait un transport du méthane des région tropicales vers les pôles, où des pluies de méthane seraient fréquentes. Ces pluies seraient en fait de véritables tempêtes, car la quantité de liquide produit par l'atmosphère de Titan serait 50 fois supérieure à celle disponible sur Terre, ceci allié à une convection 2000 fois moins forte que sur notre planète... Ces précipitations catastrophiques pourraient expliquer l'érosion visible sur les vues transmises par Cassini/Huygens.
Nuages clairs sur Titan le 13/12/2004 - JPL
profils de température de l'atmosphère de Titan
Les trois courbes sont issues d'observations d'occultations stellaires
par l'équipe de Welle (1997) qui a mis au point un modèle donnant des limites
aux variations possibles de température (en bleu: maximum; en violet: minimum et en vert une valeur moyenne, qui n'est cependant pas plus probable que n'importe lesquelles situées entre les deux extremums du modèle. À noter que tous les modèles convergent vers une température au sol voisin de - 173 °C!
Sur ce spectre INMS, chaque bande horizontale correspond à une molécule particulière. Les 3 lignes colorées du bas correspondent à H2, CH4 puis N2
Le spectromètre de masse de Cassini met en évidence l'existence de molécules carbonées complexes dans la haute atmosphère.
Science 310, 21 octobre 2005, 474-480: vu le nombre de contributeurs (26!), voici les références de la publication de Griffith & al (et l'inflation du nombre d'auteurs contraindra bientôt à recourir à ce genre de présentation!). Celle de Roe est intégrée à la page de références...
Quelques unes des observations de Griffith, réalisées avec le VIMS de Cassini. Science 310 - Griffith team (ci-dessous)
4 vues de l’atmosphère de Titan. NASA/JPL
Nuages de méthane observés depuis la Terre au moyen de télescopes géants. Roe, 2005 (Science 310).
29 décembre 2006 - VIMS - Nuage géant de méthane et d’éthane de 2400 km de diamètre qui s'étend du pôle jusqu'à 60° de latitude N. NASA/JPL.