Les bactéries dans l'espace
L'espace interplanétaire passe pour être un des milieux les plus hostiles à la vie: ni eau ni air, un vide poussé, des contrastes thermiques énormes et des rayonnements variés semblent exclure de prime abord toute conservation des formes de vie dans ce milieu. Il y a quelques années, on aurait dit la même chose des sources chaudes abyssales, des nappes de pétrole ou des piscines de refroidissement des déchets nucléaires, tous étant des milieux connus aujourd'hui pour abriter plusieurs formes de vie, dont certaines de grande taille. Nos erreurs du passé ne sauraient cependant constituer notre unique guide vers le futur, et d'autres arguments nous ont montré que, contrairement à ce que nous pensions, les bactéries ont la peau dure, et peuvent, sinon prospérer, du moins résister à un voyage interplanétaire.
Les premiers indices nous vinrent de la Lune: nous avons vu que les astronautes d'Apollo 12, C. Conrad et A. Bean, récupérèrent la caméra de la sonde suveyor 3 qui était restée sur notre satellite depuis avril 1967. A cette époque, on faisait encore subir une quarantaine à l'équipage revenant de la Lune, et l'on recherchait activement d'éventuels micro-organismes sélénites. A cette occasion, un streptocoque au moins fut découvert sur les pièces de la sonde lunaire: cette bactérie avait résisté au voyage Terre-Lune et à presque 3 années de présence sur notre satellite! Il suffisait donc que les bactéries ne soient pas directement exposées au milieu spatial pour qu'elle puissent y résister, en attendant des jours meilleurs. Ces conditions ont été confirmées expérimentalement en 2001 par l'équipe de Gerda Horneck, de l'institut de médecine spatiale de Koln, qui a montré par des études réalisées en orbite terrestre que des météorites de quelques cm de diamètre suffisaient à protéger les spores bactériennes contre l'action destructrice des rayonnements U.V. solaires.
Un deuxième indice nous vint de l'analyse de météorites découvertes dans l'Antarctique, dont les grands champs de neige et de glace se prêtent bien au recueillement de matériaux d'origine extraterrestre. Généralement, les météorites macroscopiques que l'on recueille nous viennent du système solaire, où elles se sont formées en même temps que les planètes. Cependant, l'analyse de la composition de certains gaz piégés dans la masse des météores a permis de leur attribuer une origine martienne: il était donc possible que des impacts météoritiques soient capables non seulement de satelliser mais aussi de propulser des fragments d'une planète sur une autre. Des travaux ultérieurs ont permis de préciser que ces météorites ont pu être expulsées par des collisions relativement modestes, assez fréquentes, capables de libérer assez d'énergie pour creuser des cratéres de 3 km de diamètre environ dans des terrains rocheux jeunes et compacts.
Des météorites martiennes, dont les plus connues sont ALH 84001 et, dans une moindre mesure, EETA 79001, ont atteint la Terre voici plusieurs milliers d'années, et sont parties de Mars bien avant. Elles nous montrent qu'à l'époque où les collisions étaient fréquentes dans le système solaire, des fragments de planètes ont pu voyager dans tout le système solaire. Or, l'époque de ces "envois interplanétaires" coïncide avec celle du développement de la vie bactérienne sur Terre. D'où la question: ces morceaux de roches auraient-ils pu transporter des formes de vie bactérienne d'une planète à l'autre ?
Au vu des plus récents travaux, il semble que l'on puisse répondre par l'affirmative à cette interrogation, ce qui a, nous le verrons, des conséquences incalculables. En effet, l'étude complète des météorites martiennes révéla la présence de structures qui ressemblaient à des nanobactéries fossilisées. La controverse a fait rage sur l'origine biologique ou minérale des formations diverses ("nanofossiles", carbonates...) observées dans la météorite ALH 84001.
Récemment, des cristaux de magnétite ressemblant furieusement à ceux qui, sur Terre, sont exclusivement fabriqués par les bactéries magnétotactiques, ont été mis en évidence. De nombreux chercheurs récusent ces observations, et accusent des contaminations terrestres d'être à l'origine de ces découvertes. L'ensemble des analyses forme cependant un faisceau d'indices convergeant vers la possibilité du développement d'une vie sur Mars.
L'autre versant du problème, souvent occulté par le précédent, est que Mars et la Terre ont pu émettre des fragments de leur surface dans le système solaire à l'époque où la vie se développait sur au moins l'un de ces deux mondes. Or, nous avons appris ces dernières décennies que de nombreuses bactéries vivent de nos jours à l'intérieur des roches: plusieurs milliers de bactéries souterraines ont été isolées et identifiées. Elles vivent à des profondeurs comprises entre 4 et 7 km, sont souvent autotrophes et résistent à des températures allant jusqu'à 140 °C. De véritables écosystèmes bactériens (comprenant également des champignons) ont été observés à des profondeurs de 3 km, la limite inférieure de vie étant plus fonction de la température que de la pression. De plus, les minéraux fournissent aux bactéries un abri idéal contre les rigueurs du milieu spatial.
Deux scientifiques russes, S. Zhmur et L M. Gerasimenko, ont analysé la morphologie d'échantillons de sol lunaire rapportés sur Terre dans les années 70 par les sondes Luna 16 et Luna 20. Ces échantillons, placés dans des containers scellés, ont été à l'abri de toutes les contaminations que l'on évoque fréquemment pour expliquer la présence de structures manifestement biologiques dans des matériaux non terrestres. Il y ont identifié des structures qui ressemblent fortement à des micro-organismes spiralés terrestres appelés Phormidium frigidum. Or, ces organismes ne se sont pas développés sur la lune, qui n'a jamais eu ni atmosphère ni eau. Ils doivent donc provenir de la Terre elle-même, ce qui confirme bien que la navigation interplanétaire des bactéries est possible!
On a déjà observé que, protégées dans un milieu adéquat, des bactéries pouvaient reprendre leur vie après une longue interruption. Pour cela, certaines d'entre elles se déshydratent pour former des spores. On ignorait cependant la durée de "vie" de ces spores que l'on savait être très résistantes. Dès les années 60, des bactéries du type Bacillus avaient été identifiées dans des roches provenant d'anciennes mines de sel et d'un âge compris entre 200 et 600 millions d'années. A l'époque, personne ne croyait à une possibilité de vie aussi longue, et de providentielles (mais bien possibles) contaminations par des bactéries modernes avaient été invoquées pour expliquer ces observations. En 1995, deux scientifiques américains identifient à la surface d'une abeille, conservée dans de l'ambre et âgée de 30 millions d'années environ, des spores bactériennes en bon état de conservation. En 2000, une équipe dirigée par Russel Vreeland, de l'université de Pennsylvanie, obtient grâce à l'existence d'un centre d'enfouissement de déchets nucléaires des échantillons de cristaux de sel prélevés à 570 m de profondeur sous le désert de Chihuahua, au Nouveau-Mexique. Ce sel a été déposé lors de l'évaporation d'une mer il y a 250 millions d'années. A l'intérieur des cristaux, les chercheurs de l'équipe découvrirent des inclusions d'eau provenant de cette mer contemporaine des premiers dinosaures. Avec de nombreuses précautions destinées à éviter toute contamination, cette eau venue du fond des âges a révélé contenir une souche bactérienne qui, une fois mise en culture, s'est développée. Il s'agit d'un bacille (Bacillus 2-3-9) génétiquement très proche de ceux que l'on peut actuellement trouver dans la mer morte, en Israël. Des bactéries sont donc capables de rester "vivantes" dans des cristaux de sel pendant plus de 250 millions d'années!
Nous devons donc en conclure qu'il y a 3,5 milliards d'années environ, le système solaire contenait de nombreux fragments minéraux transportant en leur sein des bactéries en état de survie.
Ces organismes
projetés dans
l'espace sont parfaitement capables de résister au choc
d'une rentrée atmosphérique, car les spécialistes
de l'ablation (les rentrées atmosphériques) ont
montré que le centre d'une météorite de bonne
taille (entre quelques cm et un mètre) ne s'échauffe
quasiment pas durant la traversée de l'atmosphère
terrestre. L'essentiel de l'énergie dépensée
par le météore sert à chauffer.... de l'air,
lui-même ne s'échauffe que sur quelques mm (si il
est composé de roches) ou cm (si il est métallique).
De plus, notre atmosphère freine si bien les roches
extraterrestres
que leur vitesse est très fortement réduite, passant
de quelques dizaines de km/s à 200 m/s environ: l'atterrissage
n'en est que moins brutal pour les passagers éventuels!
Les micrométéorites d'une taille inférieure
au millimètre traversent également très lentement
l'atmosphère sans s'y détruire. Expérimentalement,
l'équipe de P. Fajardo-Cazavos a, en décembre 2005
contaminé avec des spores de bacillus subtilis des
échantillons de granit qui ont ensuite été
lançé dans la haute atmosphère par une
fusée sonde. Les échantillons sont ensuite
retombés sur Terre, s'échaauffant au cours de leur
rentrès à 15 °C, mais 4 % des bactéries
introduites ont résisté à l'ablation dans
l'atmosphère terrestre.
Les météorites sont donc deux supports possibles pour des transferts interplanétaires de bactéries. J'ai donné le nom de "diaspora bactérienne" à cette dispersion spatiale des micro-organismes (aussi appelée lithopanspermie, ou lithophorèse, par d'autres auteurs). Je dois préciser qu'il ne s'agit pas là d'une idée neuve: dès le 19ème siècle, des scientifiques de renom comme Lord Kelvin ou von Helmholtz avaient proposés que des cellules vivantes puissent voyager à l'intérieur de météorites, mais ils ne disposaient à l'époque d'aucune donnée expérimentale pour corroborer leurs assertions, ce qui les empêcha de réfléchir aux conséquences d'une telle dissémination.
Le système solaire, un bouillon
de culture
Serions-nous tous des extra-terrestres ?
Nous avons vu que la vie est vraiment apparue très vite sur Terre... trop vite? Un des problèmes à résoudre est celui du rayonnement solaire, capable de "casser" les molécules organiques non protégées. Notre scénario utilisant les cavités des poussières interstellaires permet d'éviter ce problème, tout comme ceux utilisant une grande profondeur d'eau comme filtre à U.V. Bien que l'atmosphère primitive ait été très épaisse, ce problème des U.V. se posait moins sur Mars, vu l'éloignement de cette planète: le rayonnement auquel Mars est soumise actuellement, du fait de la faible épaisseur de son atmosphère, ne constitue pas un facteur qui limite à lui seul les possibilités de vie sur cette planète. Si l'intensité du rayonnement solaire était une condition limitante à l'apparition de la vie, il serait très probable que celle-ci soit apparue tout d'abord sur Mars, puis ait été transférée sur la Terre à un stade où elle était plus "résistante" (dans les conditions les plus favorables un météore ne met que 6 mois pour faire ce trajet). Elle y a trouvé un milieu lui permettant de se pérenniser. Ces transferts bactériens dans le système solaire et même, c'est important, au delà de celui-ci, pourraient fort bien avoir largement fertilisé les mondes qui tournent autour du soleil, et ce dans des proportions insoupçonnées. Notre vision de l'origine de la vie permettant une large distribution de celle-ci, nous pouvons entreprendre une rapide revue des mondes du système solaire qui pourraient, au vu de nos conceptions, abriter une vie essentiellement, mais peut-être pas exclusivement, microbienne.
Ces mondes sont nombreux: Mars, les planètes joviennes et quelques-uns de leurs satellites (Titan, Europe) et peut-être quelques comètes. La seule façon de vérifier nos assertions est d'y aller voir, nous-mêmes ou (de façon bien plus probable et moins coûteuse) par robots interposés, afin de ramener des échantillons sur Terre pour les étudier à loisir. Ces missions spatiales avec retour d'échantillons planétaires et cométaires sont programmées pour les 20 années à venir par la NASA et l'ESA.
Mars, un sérieux candidat pour une vie microbienne
Il ne fait guère de doute que Mars ait eu, dans le passé, un climat chaud et humide, favorable à l'apparition de la vie. En effet, de nombreuses structures géologiques identifiées sur cette planète sont dues à l'action de l'eau liquide et montrent l'existence par le passé d'une atmosphère dense. Les mesures altimétriques réalisées par la sonde Mars Global Surveyor montrent qu'il a probablement existé un océan dans l'hémisphère nord de cette planète, voici 3,8 milliards d'années environ. De plus, les modifications actuelles du relief martien repérées par cette sonde spatiale en orbite autour de la planète rouge semblent bien être dues à la présence d'eau liquide, sous la forme de terrains profonds imbibés d'eau provoquant des résurgences extrêmement passagères. Des mesures récentes de la quantité d'hydrogène présente à la fois dans l'atmosphère de cette planète et dans son sol ne laissent plus place au doute et confirment la présence dans le passé de grande quantité d'eau sur cette planète.
En décembre 2000, l'équipe de D. Malin, analysant les images retranscrites par la sonde Mars Global surveyor, a identifié des roches sédimentaires à l'ouest de Candor chasma, dans Valles marineris. D'autres régions (Hellas, Terra meridiani, Arabia terra) ont également montré ces formations, particulièrement nettes au niveau du sud du cratère Holden, ce qui confirme que Mars a été pendant assez longtemps riche en lacs et mers peu profonds, et qu'un cycle de l'eau a pu s'y développer. Il va de soit que les traces d'une vie fossile de Mars pourrait être recherchée en priorité dans ces régions. La vie a donc pu se développer sur Mars, et a pu, nous l'avons vu, accélérer, voire déclencher, l'apparition de la vie sur Terre à la même époque. Ceci est d'autant plus probable que Mars, de par sa taille inférieure à celle de la Terre, a vu sa surface se refroidir et se solidifier bien plus rapidement que cette dernière!
Cependant, la faible gravité de Mars ainsi que la perte progressive de son atmosphère n'ont pas permis la conservation à long terme d'eau liquide, ce qui a du s'opposer au développement de formes de vie pluricellulaires: seules des traces de vie microbiennes y sont sans doute décelables. Il reste toutefois possible que des formes de vie bactériennes ou nanobactériennes soient toujours actives dans les profondeurs de la planète: pour échapper à l'assèchement progressif de leur milieu, les "martiens" se seraient enfoncés sous la surface de la planète. Un tel comportement n'aurait rien d'étonnant: sur Terre, plusieurs milliers de bactéries souterraines ont été isolées et identifiées. Elles vivent à des profondeurs comprises entre 4 et 7 km, sont souvent autotrophes et résistent à des températures allant jusqu'à 140°C. De véritables écosystèmes bactériens (comprenant également des champignons) ont été observés à des profondeurs de 3 km, la limite inférieure de vie étant plus fonction de la température que de la pression.
La vie microbienne profonde existant sur Terre, elle est donc possible également sur Mars, et ce d'autant plus que la température interne de cette planète, et donc son échauffement en fonction de la profondeur, est plus faible que sur Terre. La récente découverte des nanobes donne encore plus de poids à cette idée d'une vie "intra-martienne".
La controverse d'Allen Hills
Les travaux de l'équipe Mc Kay devaient être publiés dans la sérieuse revue Science, mais une indiscrétion alerta les médias avant publication: la NASA improvisa une conférence de presse, et même le président Clinton intervint sur les écrans. Cette façon de communiquer a le don d'hérisser les poils des caciques, pour qui il semble que la science doit rester discrète (il faut dire qu'en France, ils n'ont jamais à justifier l'utilisation des fonds qui leur sont alloués...). Certains accusèrent même la NASA d'avoir sciemment organisé la fuite, voire bidonné les analyses pour obtenir de meilleurs financements par le congrès des USA. Cette attitude, typiquement française, était surtout motivée par la totale incompréhension de la façon dont un budget doit être obtenu, notre système national opaque étant rétif à toute idée de "publicité" toujours mal vécue. Malgré ces dénigrements, deux camps émergèrent autour de l'énigmatique météore, celui des pro et des anti-martiens. A la lecture de leurs travaux, on doit reconnaître que des hypothèses non biologiques peuvent suffire à expliquer presque toutes les caractéristiques observées. Cependant, si chaque observation peut être expliquée séparément, leur présence simultanée dans un même échantillon est de nature a surprendre fortement. En désespoir de cause, les "anti-martiens" en vinrent à invoquer une contamination biologique terrestre: le météore ayant séjourné 13000 ans dans l'Antarctique, nos bactéries à nous ont eu tout le temps de le coloniser et le transformer (on remarquera que cela revient à valider l'existence des nanobactéries, qui est parfois décriée par ces mêmes équipes de recherche...). Mais nous ne sommes pas à l'abri de surprises: une équipe de l'université d'Iowa a identifié dans ALH84001 des cristaux de magnétite qui ressemblent comme des frères à ceux élaborés sur Terre par des bactéries, et elles seules... L'origine "allochtone", pour ne pas dire fortement suspectée d'être biologique, de ces cristaux ,a été confirmée fin 2009.
Il sera facile de crier encore à la contamination, même si d'autres météorites martiennes, comme EETA 79001 ou une nakhlite récoltée en Egypte en 1911, présentent elles aussi des caractéristiques suspectes.
Au final, aucune certitude n'émerge de l'examen détaillé de ces météorites. Il serait d'autant plus difficile à obtenir que, comme nous l'avons vu, les formes de vie primitives seraient identique pour Mars et la Terre, ce qui risque fort de faire passer des micro-organismes 100 % martiens pour de bonnes vieilles contaminations "made in Terre". Seule une mission sur Mars avec prélèvement d'échantillons profonds pourra lever le doute, pour peu que les conditions de conservation des échantillons excluent réellement tout risque de contamination! La mission Mars Sample Return prévoyait un retour d'échantillon en 2008, mais elle a du être annulée car elle se révélait techniquement trop hasardeuse et bien trop coûteuse. Elle a été "remplacée" par les missions Mars odissey, MER (Mars Exploration Rover) et Beagle 2, cette dernière étant vouée à la recherche de reliquats de traces de vie à la surface de la planète. Elle effectuera des prélèvements et des analyses mais, comme les autres sondes, se révèlera incapable de creuser suffisamment profond (Il faudrait forer à plus de 10 m pour dépasser la limite de diffusion des peroxydes d'hydrogène qui détruisent la matière organique). La recherche de micro-fossiles dans les roches sédimentaires de la planète serait donc bien plus probante.
Les planètes joviennes, un paradis pour microbes légers ?
L'atmosphère des planètes joviennes contient de nombreux composés organiques. Nous savons qui plus est que de nombreux orages extrêmement puissants s'y déclenchent, et peuvent fournir assez d'énergie pour des réactions chimiques à l'origine d'une vie endogène.
En profondeur, cette atmosphère contient des gouttelettes d'eau en suspension dans un mélange de gaz, et ce à une pression de quelques bars. Rien n'empêche à mon sens le développement de formes de vie microscopiques, voire macroscopiques et "flottantes" au sein de cet océan suspendu (A.C Clarke a d'ailleurs écrit une très bonne nouvelle à ce sujet).
La découverte des nanobes capables de résister à de fortes pressions et températures confirme, à mon sens, le bien fondé de cette hypothèse. Des bactéries peuvent-elles subsister dans un environnement essentiellement gazeux? De récents résultats ont mis en évidence l'existence de bactéries se développant dans l'atmosphère terrestre et jouant peut-être un rôle climatique insoupçonné. Une atmosphère peut donc fort bien être le milieu de vie habituel de bactéries. Dès lors, l'atmosphère jovienne, planète qui du fait de sa masse a dû intercepter nombre de météorites éventuellement porteuses de micro-organismes martiens ou terrestres, doit être considérée comme l'un des sites du système solaire où la vie microbienne est des plus probable.
A vrai dire, l'existence de bactéries atmosphériques terrestres est supposée depuis la fin des années 60, et ce même à très haute altitude (30 km et plus!), dans un environnement qui tient plus de l'espace interplanétaire que de l'atmosphère terrestre! En effet, on se retrouve à ces altitudes dans la mésosphère, avec une pression atmosphérique inférieure au centième de bar et des températures de l'ordre de -50°C. Les bactéries doivent, à ces altitudes, avoir développé des protections vis-à-vis des rayons U.V. Le 22 novembre 2000, un ballon stratosphérique affrété par l'ISRO (Indian Space Research Organisation) sous l'impulsion des Pr. Wickramasinghe, Hoyle et Narkilar a recueilli à haute altitude des bactéries apparemment inconnues. Des organismes plus gros peuvent même se retrouver en suspension dans l'atmosphère: en analysant des cristaux de glace prélevés dans des cirrus, à 15 km d'altitude, des chercheurs de l'université de l'Utah y ont découvert du plancton marin en provenance de l'Est du Pacifique.
Il convient donc d'étudier au plus près la composition et la dynamique des couches profondes de l'atmosphère jovienne pour rechercher des éléments de confirmation à l'hypothèse d'une vie bactérienne sur Jupiter. Rien ne s'oppose à ce que les phénomènes biologiques qui se seraient développés sur cette planète aient été aussi actifs dans les atmosphères de Saturne (plus riche en eau), Uranus et Neptune (bien que leur composition chimique soit différente et fort mal connue).
Après l'océan suspendu jovien, nous voici intéressés par les "océans enfouis" des satellites de cette planète. La sonde spatiale galileo a en effet mis en évidence l'existence de champs magnétiques induits dont la présence peut s'expliquer si un élément fluide conducteur, comme de l'eau salée, est présent en grande quantité à l'intérieur des satellites Europe et Ganymède. Cette possible existence d'un océan enfoui a été confirmée par l'observation à haute résolution de la surface d'Europe, recouverte de glace et parcourue de fractures. La sonde Galileo y ayant découvert des changements par rapport aux images de la sonde voyager, les planétologues ont confirmé l'existence d'une croûte de glace de quelques km d'épaisseur flottant sur un océan d'eau liquide qui pourrait atteindre 100 km de profondeur! Cette enveloppe de glace ne tourne d'ailleurs pas tout à fait à la même vitesse que le satellite: elle glisse sur les matériaux sous-jacents. Plusieurs images montrent que la croûte glacée est fracturée, soumise à des mouvements, et qu'elle a pu être brisée par le passé par des impacts de météores et par des éruptions en provenance de l'intérieur du satellite, qui possède à peu près la taille de notre Lune.
Comment l'eau peut-elle se maintenir liquide à cette distance du soleil? Ce sont les effets de marée dus à la proximité de Jupiter qui déforment l'intérieur du satellite, ce qui le fait chauffer. Ces effets peuvent aller jusqu'à produire la fusion quasi totale d'un satellite, comme observé pour Io, une autre des nombreuses lunes de Jupiter. En ce qui concerne les satellites Ganymède et Callisto, il est possible qu'un océan englouti soit aussi présent, mais il est bien plus éloigné de la surface que celui d'Europe. Sur notre planète, il existe plusieurs lacs profonds enfouis sous la glace de l'Antarctique. L'eau y est maintenue liquide à cause d'un flux de chaleur provenant de l'intérieur du globe. Le plus grand de ces lacs enfouis se nomme Vostok, sa superficie est égale au double de celle de la Corse et sa profondeur moyenne est de 600 m. Recouvert depuis plusieurs millions d'années par plus de 3,5 km de glace, il doit être exploré dans les prochaines années afin de déceler s'il a pu emprisonner des formes de vie microbiennes inconnues (3 souches apparentées aux bactéries des sources hydrothermales, on déjà été identifiées), ou si de nouvelles y sont apparues.
Une chimie prébiotique a également pu se développer au fond de l'océan d'Europe, mais la faiblesse apparente de la fertilisation par de la poussière cosmique a pu ralentir l'apparition de la vie. La croûte glaciaire joue le rôle d'un isolant qui a dû limiter l'apport interne de matériaux exogènes aux plus grosses météorites, ou à celles possédant la vélocité la plus élevée. Une contamination en provenance des planètes telluriques reste peu probable, et nul doute que si la vie a dû se développer au fond de l'océan englouti au fil des derniers milliards d'années, elle doit se limiter à des micro-organismes, voire peut être des êtres pluricellulaires qui pourraient ressembler aux Riftia, ces vers géants qui vivent près des sources hydrothermales, au fond des océans terrestres, sans lumière ni nourriture organique. Les traces d'une hypothétique vie bactérienne sont elles observables depuis la Terre? En décembre 2001, l'astro-géophysicien Brad Dalton, du centre de recherche Ames de la NASA, proposa que le spectre infrarouge de la surface d'Europe soit dû à la présence de débris bactériens d'origine profonde! Il se fonde pour cela sur la similarité entre les spectres observés et ceux obtenus avec des bactéries dans les conditions qui règnent à la surface de cette lune (-170°C, pas d'atmosphère). On doit cependant remarquer que ce type d'analyse à conduit, dans le passé, à d'énormes méprises, et qu'il existe bien d'autres explications, non biologiques, pour l'origine des couleurs d'Europe !
Plus sérieusement, l'équipe du chercheur Pappalardo confirma en 1998 avoir observé des signes de mouvements de convection sous la glace, ce qui implique l'existence de sources de chaleur profondes. Cette chaleur provient-elle de sources hydrothermales analogues à celles des abysses terrestres ou de volcans ressemblant à ceux du satellite Io?
Il faudrait étudier les variations dans le temps de l'orbite des satellites joviens les plus importants afin de savoir si les effets de marée ont pu se maintenir sur des périodes assez longues pour permettre le développement d'une vie. Malheureusement, le calcul des variations des orbites de 5 corps en interaction est d'une difficulté immense, et nous ne pouvons valablement l'extrapoler sur de longues durées vers le passé. Les observations de Galileo ainsi que l'absence de gros cratères d'impacts sur cette lune nous indiquent cependant que la croûte glaciaire continue à se renouveler depuis plusieurs milliards d'années, ce qui conforte la pérennité de l'océan englouti. Pour étudier ce satellite et scruter son intérieur, la NASA tente de mettre au point une sonde, Europe orbiter, qui embarquerait en 2003 un radar capable d'obtenir des images des couches profondes qui se cachent sous la carapace glacée de ce corps fascinant et énigmatique.
Les comètes, porteuses de vie ?
Les comètes contiennent de nombreuses substances organiques, et leurs passages répétés près du soleil leur fournissent une source d'énergie. Cependant, il est peu probable que la vie ait pu s'y développer, car leur surface est très instable, et les modifications des conditions physiques y sont très rapides. Bien que l'idée de comètes porteuses de vie ait été chère à Fred Hoyle, elle ne semble pas à ce jour défendable. Par contre, les comètes peuvent témoigner des débuts du système solaire et pourraient se révéler bien plus riches en matière organique qu'on ne le suppose. Les premiers stades de la vie, la "pré-vie" minéraloïde pourrait fort bien y avoir été "congelée" et être observable pour peu que les missions spatiales vers les noyaux cométaires réussissent. Cependant, il ne fait guère de doute que les comètes ont constitué une source d'eau et de molécules organiques pour toutes les planètes du système solaire.
Notre scénario de l'apparition de la vie faisant intervenir la poussière interstellaire implique une large distribution du phénomène vivant, au moins dans le domaine où le soleil s'est formé. Si l'on rajoute à cela le phénomène de la diaspora bactérienne, alors on peut légitimement se demander quelle est l'étendue du domaine galactique que j'appellerais "isobiologique", dans lequel nos propres bactéries (celles des planètes telluriques du système solaire), parties voici 4 milliards d'année, ont pu voyager et ensemencer d'autres planètes ?
Pour quitter notre planète, un morceau de roche doit acquérir une vitesse dépassant 11 km/s, mais pour quitter le système solaire cette vitesse doit dépasser 17 km/s, et ce pour les cas les plus favorables... Nous savons néanmoins que des météores on pu quitter Mars, dont la vitesse de libération est cependant inférieure (5 km/s). Il est même possible qu'une météorite en provenance de l'extérieur du système solaire ait atteint notre planète le 9 décembre 1997, explosant au dessus du Gröenland. Bien que des analyses plus poussées des observations aient jeté un doute sur cette hypothèse, elles prouvent que le transfert de matière entre systèmes stellaires est reconnu comme tout à fait possible par les astronomes.
Dès 1985, Deux astronomes de l'université de l'Arizona ont montré que des fragments d'un diamètre allant jusqu'à 30 m ont pu être éjectés de la surface martienne. Ils ont calculé que 25% des corps émis ont été projetés hors du système solaire à cause de la gravité de la planète Jupiter.
Prenons l'exemple d'un météore porteur de bactérie possédant une vitesse de l'ordre de 20 km/s. Cette vitesse n'a rien d'exceptionnel pour une météorite, la plupart de celles croisant l'orbite terrestre parcourant 40 km/s. Elle peut même être partiellement acquise après éjection, par le jeu de l'attraction gravitationnelle des autres planètes. Ce météore, s'il part de la Terre, atteindra Jupiter en un an et demi au plus court, soit dans la réalité en quelques années. Dans le système solaire, la ligne droite n'est pas le déplacement le plus probable: un échantillon martien peut mettre jusqu'à 10 millions d'années à nous parvenir, aussi nos données ne sont-elles qu'une approximation et ne donnent qu'un ordre de grandeur du temps minimum nécessaire pour parcourir les distances astronomiques. Néanmoins, on constate avec stupéfaction que nos bactéries voyageuses ne mettront "que" 75000 ans pour parcourir 5 années lumière et atteindre l'étoile la plus proche. Pour nous cette durée est colossale, et semble, dans l'état de nos connaissances actuelles, nous fermer la porte des voyages interstellaires, mais pour une bactérie capable de vivre 250 millions d'années... Si vous étiez à sa place, cette durée équivaudrait à seulement 8 jours de votre vie! En 1,5 millions d'années, nos voyageuses auront parcouru 100 années lumières, rencontrant plusieurs étoiles et tombant, éventuellement, sur leurs planètes... 150 millions d'années leur suffisent pour couvrir 10000 années lumière, soit une bonne part de la galaxie...
On en déduit ceci: un météore parti de notre système solaire il y a 3,5 milliards d'années a pu parcourir... 230000 années lumière soit deux fois le diamètre de notre galaxie! Bien entendu, cette valeur n'est que théorique: les déplacements ne se font pas en ligne droite et sont infléchis par les divers champs gravitationnels rencontrés... mais cela nous montre que de vastes régions de notre galaxie, voire celle-ci toute entière, peuvent avoir été contaminées par des formes de vie microbiennes identiques: l'échelon de base de la vie est le même dans une vaste région galactique !
Pouvons-nous estimer plus précisément l'étendue de cette région et l'histoire de sa colonisation? Si on calcule la densité stellaire moyenne de notre galaxie, on trouve un chiffre correspondant à 1 étoile pour un volume de 800 AL3 . Cette densité est extrêmement faible: un météore parti au hasard dans notre galaxie n'a que 0,025 % de chance d'être capturé par le champ de gravité d'une étoile. Bigre, me direz-vous, mais alors comment nos bactéries voyageuses auraient-elles eu la chance insigne de rejoindre un autre système planétaire? Deux éléments corrigent la probabilité que nous venons de citer, et confirment le bien fondé de notre hypothèse (ouf!):
- La galaxie n'est pas homogène! Autour de notre étoile, la densité stellaire actuelle est de l'ordre d'une étoile pour 370 AL3. Cette valeur demeure très faible, mais on ne doit pas oublier que le Soleil s'est formé près de ses "surs", le tout formant un amas. Les amas de ce type que l'on peut actuellement observer ont une densité stellaire voisine de 1 étoile pour 2 AL3 seulement (voire plus: les pléiades, amas semblable à une réplique minuscule de la grande ourse, visible distinctement à l'oeil nu dans le ciel d'hiver, contiennent 5 étoiles par AL3). Dans ces conditions, tout météore quittant le système solaire entre dans le giron d'une étoile voisine, et pourra éventuellement contaminer ses planètes. La recherche des formes de vie extraterrestre pourrait donc s'orienter, dans un premier temps, vers les anciennes soeurs du soleil. Diverses simulations montrent que dans un amas stellaire la capture par une planéte de type terrestre d'un météore porteur de vie intervient entre 2 et 1000 fois ...
- Le nombre de météores envoyés dans l'espace a été considérable, nous l'avons vu, au début du système solaire, multipliant d'autant les chances de succès. De plus, chaque planète colonisée est elle-même une source potentielle de nouveaux météores contaminant...
- L'orbite suivie par le soleil autour du centre galactique l'améne à passer auprès d'autres étoiles, d'autres amas. Etudiant les comètes et leur origine, les astronomes P. Weissman et P. Hut ont montré qu'au cours des 4 derniers milliards d'années 110 étoiles sont passées à moins de 0,5 A.L. du soleil, 10 d'entre elles s'approchant même à moins de 0,15 A.L. Ces rencontres provoquent une intensification des impacts d'origine cométaire dans le système solaire, et sont aussi favorables à l'échange de matériaux (cométes mais aussi météores), entre les deux étoiles qui se "frôlent".
-Les périodes où les collisions sont plus abondantes dans le système solaire correspondraient à certaines grandes extinctions animales et végétales qui ont marqué l'histoire de la Terre. Elles pourraient aussi être à l'origine d'une nouvelle vague de météores porteurs de vie bactérienne expulsés, à partir de la Terre, dans le système solaire et au delà.
On doit donc en déduire qu'il existe dans la galaxie une vaste zone "isobiologique", peuplée par vagues successives, dans laquelle les micro-organismes sont, fondamentalement, similaires. Le point de départ de la complexification biologique qui, sur Terre, a abouti à la vie intelligente, est donc le même.
La vie est une réaction en chaîne à l'échelle galactique
N'en déplaise à ceux qui voudraient faire de la Terre le seul paradis vivant de l'univers, l'existence des chocs météoriques et la résistance des micro-organismes nous montrent qu'il suffit que la vie apparaisse une seule fois dans un volume aussi important qu'une galaxie pour qu'en quelques milliards d'années elle se répande à travers celle-ci. Après une première phase de dispersion bactérienne, qui fait suite à la formation d'un système stellaire, les différentes périodes (elles dureraient de 2 à 3 millions d'années) où les chutes de météores sont plus fréquentes représentent autant de sources de vecteurs microbiens qui, par vagues successives, s'élancent à l'assaut des mondes de la galaxie. La durée de cette expansion pourrait même être plus réduite: un météore ensemence une planète, la vie s'y développe mais cette dernière est frappée à son tour et expédie plusieurs météores porteurs de formes de vie, dont un petit nombre va ensemencer au moins deux autres mondes, qui à leur tour.... On se retrouve non pas dans le cas d'une expansion "linéaire" du phénomène vivant, mais bel et bien avec une réaction en chaîne qui aboutit à une large dispersion de populations microbiennes identiques dans de nombreux mondes possédant les caractéristiques écologiques permettant le maintien et le développement de celle-ci! La rotation du soleil autour du centre galactique, effectuée en 300 millions d'années, a pu encore favoriser cette dispersion en direction des régions les plus internes de la galaxie. Une estimation très grossière du nombre d'étoiles dont les planètes éventuelles ont pu être contaminées en 4 milliards d'années nous indique qu'il pourrait y avoir jusqu'à 40 millions de planètes sur lesquelles une vie bactérienne similaire à la notre a pu se développer.
Nous pouvons même imaginer qu'à l'occasion de collisions intergalactiques (qui n'ont rien de cataclysmes: elles ne sont pas rares, et les galaxies se contentent de se traverser) des échanges biologiques se fassent qui puissent aboutir, à terme, à une certaine uniformisation des formes de vie. Une bonne partie d'un amas de galaxie pourrait ainsi constituer un véritable "melting pot" biologique!
Imaginez la surprise de vaillants astronautes qui, au pris de milles difficultés, aboutissent laborieusement sur une planète lointaine pour y découvrir que les bactéries cousines de celles qu'ils ont transportées dans leurs intestins les y ont précédé ! Cette réelle possibilité d'avoir des micro-organismes communs dans les planètes de la galaxie nous amène à aborder LA grande question:
Y a-t'il d'autres formes de vie intelligentes proches de nous ?
A partir d'une base procaryote commune, les chemins de l'évolution convergent-ils forcément vers l'inéluctable émergence de l'intelligence? Rien n'est moins sûr, car l'évolution reste un processus dont les mécanismes sont très mal connus, et sont fonction de l'environnement.
Il semble bien que les organismes évoluent en réponse aux variations de leur environnement, pour réagir à une pression de sélection que celui-ci leur impose: si le hasard fait apparaître un nouveau critère et que celui-ci est avantageux, ceux qui le portent se reproduiront davantage et ce caractère sera ainsi favorisé et transmis aux générations suivantes. C'est là une vision très "classique" de l'évolution, mais qui ne semble pas toujours adaptée. Dans les années 70, le Pr Mooto Kimura a ainsi démontré que la majorité des mutations se révélaient "neutres" pour l'individu, ne lui conférant aucun avantage particulier.
Bien que les processus de sélection soient très puissants, et que l'existence de l'évolution elle-même ne fasse aucun doute, il semble qu'il manque encore certains mécanismes fondamentaux à la théorie de l'évolution, qui lui permette par exemple de rendre compte des phénomènes de macro-évolution. Il est donc bien difficile de dire en l'état actuel de nos connaissance si l'apparition de l'intelligence est inéluctable! Des éléments de réponse peuvent nous être fournis, faute de mieux, par le milieu de vie des organismes primitifs:
· Dans les milieux où les conditions physiques s'opposent à l'apparition d'organismes de grande taille, comme les atmosphères de planète jovienne, il est probable que la vie se cantonne au stade microbien. L'existence de moyens de communication entre cellules n'est pas impossible, mais il ne me semble pas qu'elles puissent atteindre un niveau suffisant pour une forme quelconque d'intelligence.
· Sur des planètes telluriques, un support solide permet aux organismes d'atteindre une certaine taille. Qu'est-ce qui les pousse vers l'association en ensembles pluricellulaires? Cela leur permet de mieux résister aux variations de l'environnement, comme cela s'observe encore sur Terre.
Un des problèmes, encore non résolu, va être le passage de l'état procaryote à celui d'eucaryote. Nous avons vu que les eucaryotes (amibes, vous et moi) sont très différents des procaryotes, et en ont même ingérés et "apprivoisés" certains pour pouvoir vivre. Les eucaryotes pourraient-ils constituer une spécificité terrestre, ce qui limiterait l'intelligence à notre planète? Cette thèse est partagée par de nombreux auteurs qui auparavant nous démontraient que le vie se limitait à la Terre, et elle me semble trop extrémiste, car elle néglige un fait important: la pression de sélection de l'environnement qui a conduit au développement des eucaryotes sur Terre peut fort bien se reproduire, même avec de légères divergences, sur d'autres mondes similaires au nôtre. Le monde des eucaryotes, simple diverticule de celui des procaryotes, peut donc avoir émergé ailleurs dans la galaxie. Cela ne nous conduit pas encore à l'intelligence: celle-ci ne se développera, dans un environnement donné, que si elle est nécessaire et sélectionnée en tant que telle par les facteurs du milieu.
Vie, intelligence et conscience, contingences et nécessités
Pour s'adapter à un milieu changeant, les organismes vivants semblent osciller entre deux stratégies: une intelligence zéro compensée par une reproduction exponentielle (les bactéries) et une reproduction très lente avec une intelligence développée chez les individus massifs. Cette intelligence peut-elle même se distribuer de différentes façons, mais elle implique l'existence d'un dense réseau de communication entre les unités qui la composent. Dans certains mondes, l'intelligence peut se cantonner à une distribution entre des individus interchangeables et nombreux, comme chez les insectes sociaux. C'est là une stratégie très performante, peut-être davantage que celle appliquée chez l'être humain où une intelligence centralisée se double petit à petit d'un réseau de communication dense. Nous ne devons pas oublier que les termites et autres fourmis et abeilles ont traversé sans encombre des crises biologiques majeures qui auraient renvoyé l'homo sapiens à la case départ!
Il faut bien voir que, loin d'une présentation popularisée de façon trop scolaire, l'évolution n'a rien d'un chemin débouchant triomphalement sur l'Homme: l'arbre du vivant est un buisson croissant dans toutes les directions, et, périodiquement, des crises majeures viennent en élaguer de nombreux rameaux et procèdent à une taille plus ou moins sévère. Sur des mondes différents, ces "tailles" ont dû être différentes, mais répétées un grand nombre de fois, le résultat "final" (c'est-à-dire observé à un instant t, car il n'y a pas d'état final dans ce processus continu) n'est pas nécessairement très différent. Certains milieux pourraient donc parfaitement conduire à l'apparition d'animaux pluricellulaires, mais sans aboutir inévitablement, sinon à l'intelligence, du moins à la conscience. Il en a été ainsi sur Terre: en 200 millions d'années, les reptiles ne sont pas (apparemment!) parvenus à la technologie, alors que les mammifères, dans le même temps, sont arrivés sur la Lune !
Sur notre Terre, l'apparition de la conscience de soi semble un phénomène assez récent évolutivement parlant. D'autres êtres vivants ont-il pu parvenir à ce stade? c'est plus que probable, la conscience conférant un avantage évolutif certain à celui qui en est pourvu, cette invention intéressante a dû se répéter bien des fois dans la galaxie. Toutefois, il faut garder à l'esprit que si le temps nécessaire à son émergence sur Terre est représentatif de ce qui se passe ailleurs, alors le développement synchrone des formes de vie dans un grand volume galactique implique qu'il en a été ainsi sur les planètes habitées de ce volume: à l'échelle de la galaxie, la conscience doit être un phénomène récent!
Certains lecteurs vont, dans ce paragraphe, rester sur leur faim: "quoi, diront-ils, il nous parle des possibilités de vie intelligente en dehors de la Terre et pas un mot sur les OVNI ou les traces laissées par ces intelligences dans notre histoire ?" Je m'attache dans cet ouvrage à rester dans le cadre de phénomènes scientifiquement étudiés, reproductibles, et à l'examen de leurs conséquences probables. Il faut bien voir ce qu'est le statut de la preuve scientifique: imaginez que demain soir, je m'égare à la recherche d'un raccourci que jamais je ne trouve et que j'assiste à l'atterrissage d'une "soucoupe" volante. De gentils aliens en sortent, viennent me voir et me disent dans un français impeccable: "excusez-nous Mr Raynal, mais votre site est plein d'erreurs, on va vous montrer pourquoi". Imaginons qu'ils m'embarquent et me fasse réaliser en quelques heures le tour du système solaire avant de me redéposer à côté de ma voiture, où une foule d'admirateurs (on peut toujours rêver!) voit l'OVNI atterrir et votre serviteur en sortir (auréolé de gloire, bien entendu!) avant que l'engin intersidéral ne reparte: même dans ce cas là, je n'aurais aucune preuve scientifique de l'existence d'extraterrestres intelligents! Je ne pourrais fournir qu'un témoignage, et un million de témoignages concordants ne font pas une vérité scientifique (rappelez-vous! En science, la vérité n'est pas démocratique!). Maintenant, si je profite de mon tour du système solaire pour noter quelques phénomènes vérifiables (du genre la morphologie précise d'un satellite éloigné) ou si je ramène la poubelle du vaisseau spatial, ou que je décrive par le menu la façon de faire le tour du système solaire en 3 h, alors là je commencerais à agir en scientifique et à disposer d'éléments concrets. Ces derniers manquent encore aux tenants de la thèse des "visiteurs" passés ou présents, même si certains éléments sont, je l'avoue, parfois extrêmement troublants à cet égard.
Dans certains mondes, le milieu permet le développement d'espèces intelligentes et conscientes. Sont-elles pour autant capables de développer une civilisation comparable à la nôtre? Ce n'est pas encore sûr! Les spécialistes du comportement animal sont encore divisés à ce sujet, mais il semble bien qu'un niveau de conscience minimum existe, en dehors de l'être humain, chez d'autres animaux comme le chimpanzé ou le dauphin. Notons que ce dernier, malgré toute la bonne volonté et toute l'ingéniosité imaginable, n'aurait pas pu développer de technologie dans son milieu de vie: l'eau s'oppose à la libre disposition de la première source d'énergie, le feu! Cette interventionnisme du milieu pourrait conduire à des effets étonnants de convergence morphologique.
J'ai longtemps cru que les formes de vie intelligentes devaient revêtir une vaste éventail de formes différentes. J'imaginais des méduses intelligentes, des tentacules gluants ou des pseudopodes en veux-tu en voilà, des pattes diverses et variées, des pinces multiples et des yeux à foison.... C'était sans compter les phénomènes de convergence évolutive qui peuvent contribuer à donner à nos "frères des étoiles" un aspect proche du nôtre. En effet, le développement de la technologie passe peut-être par la pré-existence de caractères anatomiques voisins des nôtres:
-une vision du relief impliquant au moins deux yeux. Il est possible d'en avoir plus, mais les informations visuelles deviennent alors plus complexes à traiter, ce qui implique un cerveau plus volumineux, et moins de place pour les autres fonctions, ou une tête trop lourde...
- des membres (2, 4?) permettant la préhension d'objets de façon précise et la possibilité de se déplacer (sans laquelle un cerveau est inutile). Un déplacement sur le sol est le plus probable: le vol limite la masse des individus (sauf à envisager une petite planète à gravité réduite, mais alors quid de l'atmosphère?) et abrège fortement leur durée de vie, les rendant très dépendants de leur source de nourriture, et le milieu liquide s'oppose au développement de la technologie.
- une séparation entre centres nerveux et nutritifs, l'un n'entravant pas la croissance de l'autre. Sur Terre, c'est ce facteur qui a contribué à limiter le développement de l'intelligence chez les invertébrés (j'oubliais, on ne dois plus dire invertébrés, ce terme n'est pas vraiment adéquat, mais il est parlant pour la plupart, alors je le conserve)
- un mode de reproduction favorisant l'éducation à long terme des jeunes, ce qui permet une transmission de l'information d'une génération à l'autre avant qu'un équivalent de l'écriture ne soit mis au point. Le nombre de petits doit également être ajusté en fonction de la durée de vie des individus, sinon les ressources du milieu seront consommées à un rythme trop important.
- une absence de moyens de prédation "trop" efficaces: un prédateur bien armé et sans ennemis (comme les grands fauves sur Terre) n'a pas "besoin" de développer une technologie! En termes plus exacts: un prédateur performant n'est soumis à aucune pression évolutive visant à requérir l'utilisation d'une technologie, celle-ci ne lui conférant aucun avantage dans un milieu qu'il domine par ailleurs. Comme me le fait avec raison remarquer un lecteur, Mr Durand, cela ne signifie nbullement que l'intelligence des prédateurs soit limitée: sur notre planète même, les animaux les plus intelligents (sauf l'Homme) sont des prédateurs, leurs conduites associatives dénotant même une grande adaptabilité. Toutefois, leur invulnérabilité même les dispense d'une pression visant à améliorer l'éfficacité de leur prédation: l'espèce humaine a été, dans son histoire, contrainte d'inventer la technologie pour pouvoir lutter contre ses propres prédateurs, aujourd'huis relégués aux oubliettes de la préhistoire.
Néammoins, l'alimentation énergétique d'un cerveau volumineux implique l'utilisation d'aliments très énergétiques: bien que notre espéce ait opté, au début de son histoire, pour des fruits sucrés (et ce "gout du sucre" est inscrit encore dans nos gènes!), leur disponibilité variable nous a conduit à requérir des aliments plus énergétiques que notre anatomie de singes arboricoles ne pouvait nous permettre d'obtenir sans le développement d'une technologie et d'une vie sociale, lesquelles ont en retour permis le développement du cerveau. Les cétacés nous montrent que la socialisation est un puissant moteur du développement intellectuel, mais, dans leur cas, leur milieu leur interdit l'accés à la technologie.
Les "aliens" indestructibles et conquérants sont donc bien à ranger au rayon des divertissements! (ouf!).
Le rôle important et méconnu de la tectonique des plaques
Sur notre Terre, la surface de la planète est, on ne sait trop pourquoi (suite au choc qui a créé la Lune, à cause de la dynamique interne particulière de notre planète liée à la présence de grande quantité d'eau liquide?) fragmentée en plaques qui se déplacent lentement, créant en permanence de nouveaux reliefs dans les zones où les plaques s'écartent ou s'affrontent. Cette tectonique n'a pas été clairement observée sur les autres planètes telluriques du système solaire, mais elle joue un rôle important sur l'évolution des espèces vivantes: maintenues isolées les unes des autres, les différentes espèces sont confrontées à une solitude reproductive qui accélère leur évolution, leur différenciation, et donc les processus par lesquels de nouvelles espèces apparaissent. Lorsque deux masses continentales séparées se réunissent des populations autrefois séparées vont entrer en compétition, des reliefs vont se créer, le climat va se modifier.... Inversement, lorsqu'un lambeau de continent va se retrouver isolé par un nouvel océan, l'évolution va y prendre un cours particulier, conditionné par exemple par l'absence de certains prédateurs. C'est pourquoi les grandes îles comme Madagascar, l'Australie où, plus proche de nous, la Corse, possèdent une faune et une flore tout à fait spécifiques...
La présence d'un relief changeant sur Terre explique pourquoi aucun organisme macroscopique n'y a apparemment développé un système de transport utilisant le plus performant des systèmes: la roue. Bien que dans les milieux désertiques, certains végétaux aient adopté une forme sphérique pour aider à leur dissémination (le chardon de Russie, rendu célèbre par sa propension à traverser les paysages des Westerns!), aucun animal ne se déplace majoritairement en roulant... Des problèmes de stabilité et surtout de modification rapide des reliefs et paysages terrestres expliquent peut-être cette étonnante absence.
Sur une planète sans tectonique, les précipitations auront tôt fait de rendre celle-ci assez "lisse", sans isolement autre que la distance et les accidents créés par le réseau hydrographique.... les climats sur une telle planète seraient différents de ceux que nous connaissons, et l'évolution y serait, sans doute, plus lente que sur Terre. Bien sûr, rien n'interdit non plus que la tectonique soit également à l'uvre sur d'autres planètes telluriques, avec des conséquences similaires à celles observées sur Terre : une pression de sélection exacerbée qui sélectionne fortement les organismes, ce qui est attesté en particulier par les fossiles remontant à 600 millions d'années. Bien que cela puisse être un artefact dû à notre connaissance imparfaite et fragmentaire des restes de cette époque, il semble que l'intégralité des plans d'organisation des animaux (mêmes ceux qui ont disparu par la suite) soit apparue à cette époque, en 50 millions d'année seulement. Par la suite, ces plans (une quarantaine environ) ont évolué, une dizaine ont disparu mais aucun n'a plus jamais émergé. Que s'est il donc passé à cette époque? Quelle a été l'origine de la pression évolutive qui a forcé les êtres vivants à se diversifier, se complexifier ou disparaître? Peut-être une série de glaciations, ou une alternance rapide entre une période glaciaire intense (dont on a trouvé les traces), résultant de la disposition des continents à l'époque et du rayonnement solaire (inférieur de 6 % à celui que nous connaissons) suivie presque immédiatement par une période très chaude effectuant une sélection drastique des formes de vies de l'époque, et favorisant leur diversification. On pourrait aussi incriminer des collisions avec des météores, une activité volcanique intense.... mais pourquoi par la suite une telle diversification n'a telle plus été possible? Ce ne sont pourtant pas les extinctions en masse qui ont manqué. Peut être que jamais la vie ne connu ensuite semblable épreuve. Mais ceci est une autre histoire, notre histoire, dont les derniers chapitres ont été écrits sur Terre, mais dont les premiers sont partagés, à travers la voie lactée, par toutes les créatures, intelligentes ou non, qui peuplent notre galaxie.
R. Raynal