Mes "oeuvres au noir"
quelques e texts et un e book....
Si vous citez ou utilisez ces
textes, n'oubliez pas d'indiquer leur origine....
Dernière mise à
jour: 28/02/2008
Voulez
vous lire...
Nouvelles
GLISSEMENT
il suffit parfois de marcher dans La ville,seul et sans but, pour
ressentir l' étrange appel de l'ailleur. Sous vos yeux la
lumière se décompose et les autres ne sont plus que des
couleurs mouvantes qui passent au travers de nous sans même nous
atteindre. Les bruits sont séparés, étendus dans
l' espace. Nous, tels de lents automates, et les souffles du temps sur
nos pas se détachent et n'ont plus prise sur nos yeux, plus rien
n'est net. Alors s'installe le calme appel au vide de la pensée.
La lumière est muette, notre être s'en est allé.
Vers où? Puis les âmes réintègrent les corps
flottants, la conscience bascule dans la tranquille assurance, dans la
banalité conventionnelle de ce que nous appelons
réalité. Un souvenir demeure, perdu dans nos
tempêtes. L'oubli ne viendra pas.
Je
cherche cet autre monde sis au delà des yeux, je cherche une
autre Terre qui ignore l'adieu. Par delà le monde des hommes,
j'ai lancé appel à l'errance...
RR
Le noir
La nuit
avait été froide,et blottie dans son lit,.elle attendait,
dans un demi sommeil, les premières lueurs de l'aube.
Dérivant dans une torpeur pleine de lassitude,elle
s'éveilla tout à fait deux heures plus tard. Les horloges
marquaient neuf heure. Dehors, dans le ciel dégagé
luisait quelques étoiles sur un fond d'encre. Le jour ne
s'était pas encore levé. Désemparée, elle
s'assit dans son lit sans savoir si elle se recouchait ou si elle
devait s'habiller.
Ne
travaillant pas ce jour là, elle avait encore le temps de
dormir. Elle mit la radio qui ne lui renvoya que des crachotements
incohérents, messages abscons de lointains rayons cosmiques.
Elle voulu croire à une panne, même lorsque sa
télévision ne lui fournit que des parasites. Elle alla de
pièces en pièces, désemparée et
désoeuvrée. Elle vivait seule, en bordure d'une
forêt. Pensant à une éclipse, elle s'habilla puis
prépara son déjeuner sans trop s'inquiéter, du
moins voulait elle s'en persuader. A midi, il faisait, encore nuit, et
nulle lueur ne s'annonçait à l'orient. Dehors, la neige
se mit à tomber dans l'obscurité et un silence
inhabituel. Les bruits de la nuit s'étaient tus. Même les
bêtes ressentaient que ce jour était différent.
C'était le premier jour sans lumière. Les heures
défilèrent, silencieuses assassines, sans que
l'éclat ne reparaisse sur le monde. Elle attendit longtemps
avant de sortir. Ce fut la coupure de courant qui la décida. Et
depuis nous errons dans les landes, contant les nostalgies de la
lumière.
La nuit est venue ce jour et a prise nos vies.
Cette nuit sera longue.
SOUVENIRS
ZÉRO
Je vis dans la mouvante cohorte des présents, sans
être ni devenir, reflet public d'un temps
immérité. Il n'est pas de secondes et j'ignore des
jours le devenir caché.
Nul ne verra jamais pour moi ce qu'est l'aurore. Tout ce qui est
autre n'est pour moi qu'une image étrange et incomprise. Je
suis, donc, et sans savoir pourquoi.Vainement j'interroge le sombre
abîme des siècle écoulés, vainement je
fouille une inexistante mémoire. Car hier est oublié et
demain n'existe pas.
Maintenant.
Tout n'est finalement que la poursuite d'un passé dans ce
temps ou la question passe dans les limbes de l'esprit.
Il y a les autres, ces images qui défilent dans l'ombre de
mes yeux et que demain je ne reconnaîtrais plus. Essayer de
parler, de pénétrer dans le fleuve du temps.Vainement.
Il a dut y avoir un passé.Quel a été mon
crime? (car je connais le châtiment, secret et raffiné,
moi qui suis fait d'oubli sous le voile d'un crâne... Peut
être aller plus loin pour trouver des questions, car qui suis
je? Peut être une idée ou le souffle d'un rêve, et
un oeil encore, ouvert sur les mystères de la vie. Est ce la
mort qui me suit à la trace et ne me rejoint pas? Elle est
bien sur ma piste avec un jour de retard. Car demain je serais de
nouveau dans l'oubli du passé au sortir du réveil.
Bien sur il y a les autres, alors j'écris les mots.Mais
d'où viennent t'il donc et que veulent ils dire ? De leurs
agencements j'ignore la sombre origine. Alors ici j'attends la fin de
l'éternité d'un jour.
Car je suis avec vous aux heures déclinantes. Surveillez
vos regards, je suis l'ombre qui passe et cette chose encore...
il est temps d'oublier.
R.Raynal
NOCTURNES ERRANCES
La nuit accumulait ses fastes dérisoires, ses cristaux
ondoyants jetés sur le noir de nos âmes. Nous marchions
dans l'ignorance des regards, portés vers les lointaines rives
de l'aurore par des ressorts intimes dont nous ignorions la fonction
et l'origine.
Nous étions cinq a nous être animés dés
le coucher du soleil et nous n aspirions qu'a parcourir les rues de
la cité déserte en une quête dont l'origine se
perdait dans le néant des éternités enfuies.
Nous n'avions pas l'habitude de rester en groupe, peut être par
peur, pour fuir le souvenir de persécutions antiques enfouies
dans nos mémoires pour notre rédemption.
Chacun d'entre nous choisit bientôt sa route et les visages
de ceux qui étaient mes compagnons s'évanouirent dans
les ténèbres glauques, jaunâtres, de la ville
endormie peuplée pour cette nuit des fantômes blafards
que nous cherchions.
Ainsi j'étais seul sur les sentiers du néant
environné de mouvantes lueurs, seuls rappels de la vie dans ce
dédale chaotique qu'était alors le néant des
jours. J'avançais lentement, pensant avec mesure, essayant de
détailler du regard les vaines arabesques du destin. Nul ne
saurait dire si notre rencontre fut un signe du destin ou une
confidence du néant; le tout est que je vis l'homme qui,
à quelques mètres, s'était assis sur la rive et
regardait fixement s'écouler les rides lumineuses sur la peau
du canal.
L'occasion était trop belle et ma faim trop profonde.je ne
put résister. Je fixait un moment la nuque de cet inconnu plus
seul que moi peut être et je lui dédiait une certaine
caresse du regard. Quelques instants plus tard j'entendis le bruit
d'un corps qui se glissait dans l'eau trouble pour y terminer sa
mort. La faim en moi se fit moins forte lorsque je sentit son essence
s'écouler dans mon corps. Cette indéfinissable
sensation me poussa à fixer cette voiture qui venait vers moi,
me força à rester sourd aux cris qui
accompagnèrent l'inévitable accident.
Quatre esprits se déchirèrent encore cette nuit
là. Peut être en fut il d'autres car la mémoire
est vaine tout comme est vaine cette étrange lueur que nous
percevons dans vos coeurs.
Nos vies n' étaient que souffles, nous les avons fait
pierre. Et c'est ainsi que je rejoignis mes compagnons, rochers
dressés sous les souffles inutiles et dérisoires du
temps. Eux aussi s'étaient rassasiés, et de nouveau
nous priment le chemin de notre résidence.
Nous étions cinq a y vivre, cinq à savoir savourer
le ridicule de la valeur attachée par les autres à ce
mot. Cependant nous étions heureux par delà notre
différence et au delà de notre éternité.
Avant que l'horizon ne blanchisse nous étions tous
réunis pour discuter un peu, surtout avec nos yeux. L'un de
nous posa la question à laquelle nul ne pouvait
répondre mais qui était notre quotidienne obsession:
pourquoi?
Nous nous étions éveillés tous ensemble un
soir sous la clarté lunaire et nous étions alors
pétris d'ignorance. Nos corps étaient jeunes alors et
nous avions peur de vieillir, peur de comprendre aussi. Nous nous
sommes alors mis en route, cherchant les cités les plus
riches, les nuits les plus longues.
Nombre de ces cités sont à présent englouties
ou bien en ruines étonnantes au sommet des montagnes...
Nous avons attendus, sentant la faim
grandir en nous. Des vies
alternatives nous ont servis de nourriture au fil de ces passages que
vous nommez des morts. Nous ignorons pourquoi notre sort fut
différent. Certes nous menons notre existence dans un luxe
ignoré, fuyants le jour plus par habitude que par
réelle peur. Seule nous effraie la lumière de la
connaissance que, comme des papillons futiles qui cherchent à
se noyer dans le flot des clartés qui apportent la mort, nous
recherchons inconsciemment dans le doute et la peur.
Et nous voyons passer les siècles dans l'attente d'un
voyage, en attendant les secondes précieuses qui nous
livrerons la réponse.
Peut être ne sommes nous que des rêves, des mots
courants sur la surface d'une réalité factice. Nous ne
sauront que plus tard, lorsque sera venu le temps d'une fin
révélé que nous avons déjà vaincu
en un lieu oublié, sous un ciel différent en
étoiles muettes.
En attendant nous sommes les seuls à vivre dans ce monde
dévasté ou ne règne plus que l'ombre et la
folie. Mais nous savons être les symboles de la
perénnance et du refus de la fin. Toujours sommeille en nous
la force de ce défi que nous avons lancé à vos
divinités meurtrières.
Nous, peurs et espoirs en sang mêlé.
Nous, ces êtres étranges aux tons blafards, aux
formes indistinctes qui parfois se condensent aux frontières
des brumes de votre imagination.
Nous, les vampires.
R.Raynal
DANS LA MARÉE DES ÂGES
D'une caresse du regard je distingue le lieu. Le vent sourd
à mes larmes balaie la vaste grève.L'océan se
meut avec calme et mesure, arquant son dos sous la caresse lunaire.
Car ce soir est celui de la marée.
Le vieux bar se dresse à quelques mètres de l'eau,
indifférent et gourd en son manteau de sables. Comme une
simple enseigne,oubli d'un voyageur. La porte en s'ouvrant crisse sur
la morsure du temps et des dunes, cédant lentement en
révélant une salle autrefois animée, maintenant
solitaire aux rythmes du passé. Ce lieu est riche en
interrogations muettes.
Tout ici n'est que mémoire, et le vide de ce lieu
s'épanche dans mon âme. Je retourne à la porte
pour m'asseoir sur les marches.
Je referme mes yeux, écoutant la voix du vent me chanter
les souvenirs de la grève.
En un temps oublié (peut être était ce hier)
une cité puissante se dressait sur les flots. Bien des vies
sont passées en ce monde aquatique où étaient
les navires tels des troupeaux paisibles, sources de richesses et
promesse de décadence. Et je revis les maisons, les rires et
les masques, et ces trophées antiques aujourd'hui disparus...
Le soir tombe sur l'océan. Ma main se referme sur le sable
captif pour un instant qui me dit en fuyant l'histoire des idoles
apportées de l'orient; qui me décrit le jour ou le ciel
et la Terre unirent leur colère. Peut être que tout cela
n'a t'il été qu'un rêve, douce songerie tapie au
coeur de l'homme.
Il est temps de regarder.
Le flot lentement aspiré se recule et dans les espaces
lointains les planètes se disposent. Bientôt viendra le
temps ou à travers l'étendue elles tireront à
elles l'essence de la mer.
Je m'étend sur le sol, aspire à être vide.
Peut être est ce là le secret, dans le simple reflet des
étoiles sur l'oeil.
J'attends entre deux mondes sans vouloir appartenir. Les infinis
passeront en vain,cherchant à troubler l'attente
millénaire. Doucement les étoiles s'arquent autour de
la polaire. Il m'est le souvenir en des temps plus lointain de
chemins différents suivis par ces soleils. Serais-ce souvenir
ou simplement presciences ? Peu importe.
Sis au bord du monde, pour moi j'ai arrêté les
êtres. Brève sensation sur laquelle s'ouvre mon
rêve, fugitives visions de larmes inconnues. L'eau qui se
retire luit de la densité du réel. Ou sont donc les
mondes qui sont nés en son sein? Peut être à la
frontière entre ce qui est et ce qui pense. Il est temps de se
mettre en route.
Je m'élance à la poursuite du flot vers un
néant de vagues. Sous mon pas le sable humide se
révèle. J'effleure de la main une algue
abandonnée. En vain j'y chercherait conscience de la
lumière. L'essentiel est ailleurs.
Ici est le niveau des plus basses marées quand la lune est
normale, mais il est d'autres nuits comme celle ou j'avance.
Vient l'heure sombre ou il faut guetter les tourments de
l'élément liquide. Au loin émerge doucement un
bloc d'une compacte noirceur. Cette masse présente se souvient
de la main de l'homme qui la tira du néant. Et en moi je sais
qu'il s'agit de la troisième tour, un but de simple errance.
Bientôt à quelques mètres apparaîtrons les
murs. J'enfouis mes mains dans le sable glacé,cherchant en
vain à retrouver ces chemins enfuis de ma mémoire.
Les murs sont dégagés,la
cité m'est
ouverte.Je distingue une entrée jadis plus colossale,
taillée pour des créatures qui ne viendront plus,
demain. Les éboulis sont nombreux, les bâtiments
éventrés en sombres monticules sertis de vie marine.
Qu'importe, car je sais que la mer n'est pas cause dans ces
destructions. Sur ces ruines est inscrite la trace d'une ancienne
colère fille de la connaissance. D'autres colonnes se dressent
vers un ciel retrouvé en doigts lourds de menaces. Ici la vie
n'a pas accompli d'oeuvre et tout reste intact en sa morne
destruction. Une douce luminescence annonce aux mortels la
présence de la mort inscrite dans la pierre.
Je ramasse un caillou de la grosseur d'un doigt, le serre dans ma
main et le porte en mon coeur, le pressant de questions. Alors il me
répond, et il ouvre les portes. J'entre dans la cité en
son époque intacte. Dans les grandes avenues pavées
d'étranges dalles je détaille les fresques qui
racontent un monde. Mes yeux me pressent de voir, de retenir ces
images trop vite parcourues. En instants colorés je revois les
peinture et un ciel différent pour un monde oublié.
Je marche dans cette ville ou l'on me
reconnaît. Là
est la libre expression de la beauté altière, dans les
gestes et les regards qui maintenant me frôlent. Je rejoint au
delà des secondes fragiles des amies et des traces de
passages. 11 est des noms oubliés qui en moi se rappellent.
Devant mes yeux des formes se dessinent. Le rire des navigateurs
résonne de nouveau du haut des chars splendides enfuis de ma
mémoire,et les belles dansent de nouveau pour nous sous les
accents de la musique éternelle. Il en est d'autres encore qui
se joignent à nous. Mon coeur et mon âme me pressent de
rester dans cette réalité, de me fondre dans le
souvenir comme d'autres avants moi dans les landes désertes
des solitudes de l'immortalité.Tous veulent que je cesse de
marcher pour reposer mes yeux. Je ne sais plus partir.
Néanmoins dans la cité je marche encore,captif aux
longues chaînes. Sur les routes jonchées de fleurs qui
sont comme des sourires j'avance vers la tour maintenant accessible,
porté par les accords d'une harmonie perdue.
De sourds grondements me viennent de l'autre coté du voile
du réel, m'avertissent que les lourds gardiens de ce lieu
protestent contre ma présence. Devant moi le flot mouvant a
cessé son recul. Les planètes sont en place. Il n'est
plus temps d'attendre.
Je pénètre dans la tour
telle une ombre rapide.J'ai
eu le temps de voir à la limite des eaux les molles
silhouettes des gardiens de ce lieu se dresser vers le ciel en
menaces parfaites. Vainement ils s'essaient à connaître
la terre: ne pouvant plus quitter l'élément qui les a
transformés ils ne sont plus que peurs environnées de
la tristesse inutile des souvenirs perdus. Je gravis les marches
qu'un océan n'a pu vaincre jusqu'à ce coffret qui m'attend de
toute éternité, qui contient le message en fragments de
futurs.
Alors j'ouvre mon âme pour le mieux recevoir. Il est d'une
autre texture et raconte d'autres temps et d'autres
réalités ,loin. Il indique une route,ce n'est donc pas
la fin.
Le hurlement des gardiens me parvient depuis les eaux montantes
qui menacent maintenant les murs qui me protègent. Tel est le
signal pour un départ plus prompt. Je sort de la tour d'un pas
rapide et sûr, espérant le rivage. Le temps n'est pas
encore ou l'océan interdit la retraite. Je cours à
travers les rues. En un morceau de mon coeur je revois des visages
qui me crient leurs adieu. Derrière moi le sel de mes larmes
se mêle à celui de l'océan.
Le pas du flot est mesuré mais l'agitation de l'onde
m'apprend que les gardiens ont découvert le coffret
épars en brisures de vérités interdites. Devant
moi le ciel semble s'arquer et la mer se joint à la Terre dans
l'union des ténèbres. Les murs sont déjà
loin mais les sentinelles sur ma piste tentent d'échapper
à l'eau. Vaine agitations de corps par trop flétris. Je
libère dans mon regard l'esprit agile qui se joue de leurs
corps en aisance et beauté. Ils auront pour rien
devancé la marée.
Le sol à ma rencontre maintenant oublie les caresses de
l'onde. Le rivage est sous mes pas. Revenu sur les territoires des
hommes, je m'écroule contre une dune, la face unie au sable.
La dune veut parler mais l'esprit vagabonde, je ne puis
écouter.
L'océan a recouvert mon rêve mais j'entends encore
entre les rires du vent les accents de la musique de l'ailleurs. Je me
réfugie dans le sommeil, mêlant mon souffle court
à l'haleine de la nuit. Je me niche au creux de la dune, il ne
fera pas froid.
Le message était clair qui dit ce qui sera. Sur de
nouvelles routes demain j'engagerai d'étranges
véhicules qui naissent sous mon crâne. Et je sais aussi
qu'elle va me rencontrer.
Et je m'éveillerai en songeant au bonheur de parcourir
à deux les sentiers indistincts qui se perdent dans les landes
de l'éternité.
R.Raynal
Un matin dans le
brouillard...
Il s'éveilla et jeta alors un timide regard vers la
fenêtre afin de s'assurer de la proximité de l'aube. Ses
yeux perçurent la faible lueur qui signalait que la nuit,
cette mère de l'ombre, allait bientôt mourir de cette
mort provisoire qui tisse l'étoffe du temps.
Autour de lui la place était sombre,la petite fenêtre
crasseuse commençait à lui conférer là
couleur des pales étoiles qui coiffent le Taureau en notre
ciel mythique. Il alluma alors une bougie, lueur plus faible qu'une
vie, et en se levant contempla une fois de plus son domaine.
A sa gauche se trouvait son bureau, fidèle compagnon des
heures moins obscures à présent recouvert d'une
épaisse couche de poussière. A coté de celui ci
une petite table et une chaise grossière lui permettait de
prendre ses repas conformément à ses souvenirs de la
société des hommes. Mais la pièce eut
été vide sans l'imposante bibliothèque, qui
occupait tout le fond de la pièce. Cette bibliothèque,
encore auréolée de ténèbres, dont il
était le protecteur et le gardien en ce lieu oublié des
dieux.
Il enfila sa tenue salie par l'usage et le temps, et se dirigea
vers la petite cheminée qui se situait tout près de son
lit. Quelques paroles, quelques effleurements et la flamme jaillit,
projetant sa lumière dans ses yeux et ondoyant en courbes
infernales. L'aube venait de poindre et une légère
brume montait du marécage proche, le nimbant des lueurs
mordorées de l'aurore. Dans le lointain, on commençait
à deviner la haute silhouette du mont Madley. 11 s'attarda
quelque peu à regarder les mouvements étonnant des
formes engourdies dans le brouillard indistinct qui peu a peu
semblait sourdre des cieux a présent inaccessibles.
Il prit un rapide et frugal déjeuner, puis commença
à lire, s se plongeant avec délice dans le monde des mots
dont il était le gardien. Il était celui qui
connaissait l'infini puissance du verbe, la force
incréée de la parole humaine qui pouvait, dans
certaines conditions,commander aux éléments et
détruire l'ennemi inconnu qui sommeille toujours sur le seuil
de la réalité. Cet ennemi qu'en lui il sentait vivre,
cet ennemi dont la crainte s'installait en lui au fil des heures
solitaires.
Il devait être neuf heure lorsqu'il sentit une
étrange odeur se glisser jusqu' a lui. D'un bond, il se leva
et se dirigea vers la fenêtre. La brume Iégére
était devenue un épais brouillard qui ensevelissait le
paysage sous ses lourdes circonvolutions. Les arbres proches
indistincts semblait supporter de lourdes masses floues, palpitantes
d'une vie obscure, de cette vie qui parfois s'insuffle dans les objets
de nos rêves pour apporter en nos êtres la peur.
Cette peur a présent tentait de prendre possession de son
esprit, lui apportant des souvenirs enfouis d'une vie passée,
lointaine. De tout temps il avait été destiné a
être le gardien des livres étranges trouvés,selon
la Légende, dans les ruines d'un temple dédié a
quelque divinité sanglante venue du fond des âges,
à ces époques oubliées ou les dieux
mêlaient leur vie aux hommes en perpétuels
affrontements. Dés son enfance il avait été mis
a L'écart ,éduqué par les meilleurs
maîtres afin de savoir manier aussi bien I'épée
que le mot. A la mort du précédent gardien, il avait du
faire retraite dans les marais, emportant les livres maudits, et
devrait y rester pendant plus de dix ans. Chaque jour des coursiers
venus de l'ailleurs le plus proche lui apportait de la nourriture. Nul
n'avait l'audace de lui adresser la parole, et parfois même il
retrouvait près de sa maison des offrandes sous forme de
fruits ou de riz, ce qui lui permettait d'améliorer son
ordinaire.
Il savait maintenant les sombres histoires des formes obscures qui
s'ébattaient la nuit dans le marais.11 savait que par
certaines journées à l'atmosphère épaisse
de sombres remous agitaient la vase, remous qui, la nuit
venue,prenaient consistance et forme... Il était le seul
être a oser se risquer dans le marais un jour de brouillard. 11
avait découvert au cours de ses errances les lueurs
étranges naissant au crépuscule et des endroits d'où
semblait sourdre, outres une inquiétante luminescence
bleuté, une impalpable angoisse.
Cependant jamais encore il n'avait senti comme aujourd'hui
l'angoisse et la peur transsuder du paysage et sournoisement essayer
d'envahir son esprit. Il sentit qu'un événement
malfaisant, vengeance de démons défiant
l'éternité, fomenté par des puissances dont on
avait préféré oublier jusqu'au nom allait se
produire et qu'il en serait l'impuissante victime. Devant ses yeux
fixe le brouillard commença lentement à bouger, a se
condenser en nodosités filiformes aux vagues apparences
humanoïdes, comme s'il était contrôlé par
une incroyable puissance d'essence malfaisante. Pendant un court
instant il lui sembla entendre un léger bruit de succion.
C'est a cet instant qu'il réalisa qu'il était perdu
si il demeurait sur place. Il lui fallait absolument sortir affronter
le brouillard et ses menaces à peine voilées afin
d'exorciser la peur qui déferlait par vague sur son
subconscient.
Dans un recoin de son esprit surgit le soupçon d'un doute.
Une part de lui même savait qu'il ne devait pas quitter les
livres, que ceux cis ne devait aucun prix tomber entre les griffes
des divinités englouties qui y ressourcerait alors leur
puissance avant de déferler de nouveau sur le monde. Pourtant,
comme dans un cauchemar, il sentit son corps se mouvoir et ouvrir
lentement la porte sur les menaces de l'extérieur.
Aussitôt, son visage fut frappé par un fort vent lui
apportant de pestilentielles odeurs de vase remuée et de
tourbe dérangée.
Luttant contre une volonté extérieure,il
réussit à se munir de son arme avant de
s'élancer dans les terres humides de son fragile domaine. Dans
le lointain, au delà des montagnes qu'il n'avait jamais
franchies, il lui sembla entendre un bizarre sifflement, un
hululement modulé constituant pour lui l'écho de la
trame démoniaque d'un appel.
Le sol était légèrement spongieux sous ses
pas, et il s'éloignait, aux aguets. La terre
détrempée conservait un instant l'empreinte de ses pas
avant de les effacer de sa molle substance. Fouillant des yeux les
nues indistinctes, il fut soudain en proie à une terreur
folle: devant lui venait de se dresser une colonne lumineuse
auréolant d'une lumière malsaine l'atmosphère
humide. Ses sens lui criaient se se fondre dans la mouvance
lumineuse, mais il leur résistât et, au prix d'un
terrible effort sur lui même, maîtrisa ses jambes qui ne
demandaient qu'a céder sous lui et se força à
courir.
Soudain, une noire forme se dressa devant lui et, rageur, il lui
assena un fort et puissant revers de lame. La forme sembla
s'effondrer, emprisonnant son arme dans I'étau de ses chairs.
Un instant, son esprit hagard imagina des images de démons
bavant et sifflants,de créatures tentaculaires ou cornues
telles que les décrivaient certains livres. Mais cela
n'était rien. La laideur et la différence
n'était pas l'essence du danger, la bataille qui se
déroulait à présent ne visait que l'esprit.
Courant droit devant lui, aiguillonné par la peur qui le
possédait, il ne prit pas garde aux racines et tomba
lourdement lorsque l'une d'entre elles le fit trébucher. Le
nez dans la vase, il mit quelques secondes à reprendre ses
esprits. Sa pleine conscience lui revint, et il put considérer
froidement sa situation. Il n'avait pas encore entrevu la nature de
la menace qui pesait sur lui, mais il ne faisait pas de doute
à présent que son esprit avait été
contrôlé pour le forcer à quitter sa demeure,
à abandonner sa garde. Il devait donc retourner à la
bibliothèque afin de s'y pourvoir en renforçant son
âme des puissants pouvoirs du verbe qui avait fait le monde.
Il attendit quelques instants avant de se remettre en route.Tout
bruit de poursuite avait cessé. Pour la première fois
depuis qu'il le connaissait, le marais était silencieux, comme
figé dans les glaces éternelles dont certains livres
mentionnent l'existence dans les terres du nord. Le brouillard,
toujours aussi opaque ,lui semblait maintenant rassurant; tel un
improbable refuge contre le monde extérieur et ses
créatures qu'il lui faudrait bientôt affronter. Il se
releva et commença à se diriger au jugé vers ce
qu'il croyait être la direction de son abris. Se
remémorant sa course folle, il se mit à rire. Le son de
ce rire sonna étrangement à ses oreilles dans ce milieu
irréel, intemporel. Il marchait depuis quelques minutes,
souriant et confiant, lorsque dans le silence inhabituel de ce lieu
il entendit des pas. Le bruit de ces pas évoquait
d'immémoriaux souvenirs surgis de son subconscient et il sut
alors que sa peur n'avait pas été détruite, mais
momentanément enfouie au coeur de lui même.
Il reprit sa course, se perdant dans les nuées malsaines,
trébuchant et rampant dans la vase humide.11 ne trouvait plus
de repères, il se savait perdu. L'épais brouillard
semblait recouvrir le monde et il en était l'inutile
explorateur affrontant des forces oubliées de tous, surgis
des souvenirs d'une improbable alliance. Dans les rares parties de
son être non dominées par la panique une voie lui disait
que sa course était vaine, qu'il ne fuyait que sa propre
angoisse, une part de lui même cachée dans ce brouillard
et qu'il voulait faire disparaître. Il pensait.11 lui semblait
que ses jambes ne touchait Plus le sol, qu'il allait plus vite, qu'il
pourrait courir éternellement tandis que son
esprit,libéré de toutes entraves, pouvait agir à
sa guise.Il réfléchissait à l'entité qui
l'avait chassée de chez lui et s'en voulait d'avoir
cédé à d'irrationnelles pulsions et de
s'être enfui sans plus songer à sa mission de
protection des livres. 11 avait peur des mots
révélés dans les grimoires, des puissantes
créatures qui y dormait en pages inachevées et
tachées de sang. Il craignait surtout une puissante
créature décrite dans le maître livre et qui
tirait sa puissance de la frayeur et de la source des mondes
cachés de la mémoire...
Il se heurta à un mur de souffrance lorsque, percutant une
forte branche, il tomba encore et se blessa. Sous le choc, de confus
souvenirs remontèrent à la surface de son esprit
tourmenté. 11 vit la Terre comme une bille bleu, le ciel sans
brouillard et le sol qui se précipitait vers lui de plus en
plus vite. Des images s'animèrent dans son esprit, une lutte
plus ardue en des cieux ignorés effacés de son
être...11 lui vint la pensée que dans quelques
secondes...
Un claquement sec résonna froidement dans ce néant
ouaté. Il ressentit la cruelle morsure de la mort, la fin de
ses espoirs, et l'échec de sa mission. Avant que son esprit ne
sombre a jamais dans le chaos de l'inexistence, il vit défiler
rapidement quelques images de sa vie.11 revit son arrivée dans
les contrées lointaines, son long apprentissage auprès
de son obscur maître, la querelle avec le tyran sur la
connaissance à donner à l'Homme, le long débat
sur la nature du savoir, puis la bataille qui s'en suivit et l'exil
sur cette planète inhospitalière. Il ne se rappela que
trop tard de la connaissance interdite que les Hommes allait
découvrir, puis s'envola dans le bruissement des ailes de la
mort.
Le chasseur s'avança avec
précaution, une
flèche encore encochée à la corde de son arc. Il
eut un sourire grognon en voyant sa proie. 11 avait cru tirer sur un
animal plus intéressant que cette forme humaine aux grandes
ailes noires et à la queue fourchue. Depuis quelques temps, on
en trouvait partout; depuis que le ciel avait été
illuminé par d'étranges lueurs venues de l'orient. Le
chasseur passa un lacet autour des chevilles de son gibier puis
commença à le traîner derrière lui. Ces
créatures ailées avait une chair coriace mais
comestible. Le museau écailleux du chasseur fouillait l'air,
lui permettant de se repérer avec les faibles odeurs qui
infailliblement le ramenait vers son village. Au bout de quelques
dizaines de minutes, il distingua la frontière du
marécage. Dans le lointains des montagnes se dressaient. Dans
quelques milliers d'années elles seraient couvertes de
blanches colonnes. Les chasseurs seraient oubliés alors.
Le chasseur traînait encore sa proie sur ses épaules
quelques heures plus tard. 11 se dirigeait lentement à travers
la plaine en direction du soleil couchant. Derrière lui les
deux ailes noires souillées de fange de l'ange déchu
dessinaient sur le sol deux longues traînées
parallèles qui se confondaient dans le lointain en une
instable géométrie.
R.Raynal
TROIS COUPS A LA PORTE
L'auteur
rentrait chez lui. Il cheminait à pied, marchant lentement dans
les rues de la cité. Il revenait de chez un ami qui l'avait
invité pour la soirée. Autour de lui l'air s'embrumait
des parfums de la nuit. Il adorait marcher ainsi, se perdant dans les
ombres mouvantes et s' égarant par plaisir aux endroits les plus
sombres.
A cette heure tardive rares étaient les promeneurs et il pensait
à sa prochaine histoire. Cependant, il sentit qu'une
étrange impression se faisait jour à ses sens. Pour la
première fois, la nuit semblait peser sur lui, réveillant
des peurs vaincues dans le passé. Sans qu'il se l'avoue, une
insidieuse crainte diffuse s'emparait de lui. Ce fut cette sensation
qui lui donna son idée: " Je vais écrire l'histoire d'un
brave type qui reçoit la visite de la mort qui vient le prendre.
La mort frappera trois coups à sa porte."
L'idée lui semblait bonne. Il pressa le pas, jetant quelques
regards craintifs dans les rues sombres riches de menaces. Il se hantait
afin d'être au plus tôt courbé sur les pages vierges.
Quelques heures plus tard, il avait regagné son appartement et
le fil de son récit se déroulait devant lui, net et sans
retouches. Néanmoins, au fur et à mesure qu'il se
rapprochait de la fin, une étrange anxiété
s'emparait de lui, une angoisse qu'il n'avait encore jamais ressentie
face à ses pages. Il fut soulagé d'écrire le mot
"fin" d'une frappe rapide à la frontière de la page.
Il se laissa aller dans son fauteuil, satisfait de son travail. A ce
moment, trois coups furent frappés à sa porte...
RR
Ulysse et Calypso (Arnold Böcklin (1827-1901),
1882)
La tentation d'Ulysse
Les courbes
mouvantes de l'horizon marin se reflétaient en volutes
délicates dans les yeux sombres de l'homme assis sur la
grève. De ses mains inutiles il étreignait le sable d'une
étrange finesse et mêlait aux murmures de l'océan
les sombres tempêtes qui agitaient son être.
Ici était le sentiment de solitude, les effets étonnants
des volutes du hasard. L'obsédante présence de
l'océan rappelait sans cesse à ce roi perdu sa propre
insignifiance, tout comme les étranges habitants de l'île.
Ulysse se leva, laissant là ses rêves, et considéra
un moment les êtres flous et mouvants qui s'ébattaient
à l'orée du bois tout proche. Elles étaient les
servantes de celle qui régnait sur l'île; filles des ondes
et du vent leurs mouvement lents et gracieux portaient la marque d'une
beauté interdite aux hommes=es. Ces filles effilochées
aux yeux plus bleu que l'âme se laissaient porter par les
souffles venant de la mer en cette fin d'après midi. perdu dans
ses tourments intérieurs, Ulysse ne les comprenait pas, et il
alla vers elles sans même s'en apercevoir, car aujourd'hui son
regard ne plongeait qu'en lui même.
Nul ne sait où est le temps lorsque le but est atteint et nos
vies fugitives, ces courses vers la mort, soudain se figent en une
muette attente. Tout comme ce premier jour, dont on ignore tout, tout
comme l'ignorant qui a brisé la gemme... Rien n'existe ormis la
matière impalpable répandue sur les sables de
l'imagination, ces dunes inaltérables ou meurent nos rêves
en arabesques futiles. Tels sont en nous les îlots du devenir,
ces terres étonnantes où nous hantons nos propres
rêves...
Ces pensées parvinrent à Ulysse sur le chemin du retour,
faisant renaître en lui les souvenirs des nuits passées
avec Calypso. Il ignorait si les mots venaient de la nymphe, mais il se
souvenait du du jour où il avait osé la toucher,
l'étreindre, l'aimer. C'était de ce moment, peut
être, que provenait ce sentiment d'incomplétude, cette
sensation de vide au creux de sa poitrine que tous les baisers de
Calypso n'avait pu effacer. C'était alors qu'avait pris
naissance ce vide béant dans la texture de son existence, rendu
plus terrifiant encore par le goût amer des actes du
passé...
La nymphe l'attendait au seuil de sa demeure, étendue dans
l'herbe haute et offrant son corps aux caresses du vent. Sans
même ouvrir les yeux elle savait sa présence, et de ses
calmes pensées elle essaya de calmer les troubles
intérieurs qui étreignaient Ulysse. Ce dernier vint
à elle, reposant à son coté. Fixant de ses yeux
fatigués l'azur des ciels étrangers sis au delà
des mondes, le voyageur parla, oubliant que dans cette île et
dans ce temps la pensée suffisait à voyager entre les
êtres.
-Je n'en puis plus, Calypso. Depuis mon arrivée, je ne sais qui
je suis. Ton univers s'est fait mien tel un rêve d'aëde, ici
tout se meut un perpétuelles résurrections
étranges, les mots perdent leurs sens et leur utilité,
alors que reste t'il ?
- Toi, Ulysse, enfin révélé ors d'une
époque et de lieus qui ne sont pas les tiens. Je connais tes
muettes souffrances et tes larmes secrètes, ainsi que les
espoirs qui se terrent en toi. Je connais, oui, tes peurs, et ta
beauté aussi.
- Je ne puis te croire. Je ne suis qu'un mortel, un pillard qui
transporte la mort dans les flancs de son navire, un pirate dont les
villages redoutent la venue. Et je dois être roi sur une terre
aride, et suivre en violentes rapines par delà les océans
des hommes qui souvent n'ont d'esprit qu'animal. Comment dire à
ces êtres mon envie d'exister, de lâcher le glaive pour
oser réfléchir aux sombres desseins des dieux , pour
trouver enfin quelqu'un à qui parler sans menaces et sans haine.
Je suis un être en marche vers un ailleurs
révélé, poussé par mes flots jusqu'à
des terres vierges dans le perpétuel ressac des tempêtes
sous mon crâne. Je ressent un appel, une soif de partir que
même ton amour ne saurait étancher.
- Tu n'est ici que depuis peu, Ulysse, et déjà ton
profond regard dépasse le soleil qui se perd aux confins par
delà l'horizon. Ici notre entente peut arrêter le temps,
imposer aux dieux même une vision nouvelle en un permanent
défi.
- Tu peut,
déesse, défier les dieux sans
inconvénient aucun, ils sont tes pairs, mais je ne suis qu'un,
homme. mes aventures où rode la mort en intrigante ne sont que
le résultat d'un orgueil que je n'ai pas su maîtriser. Un
mortel tel que moi n'a que peu d'années pour réaliser ses
rêves, les minutes lasses s'évaporent dans les espaces de
l'inexistence, et seules les larmes, à la fin dernière,
seront le lot commun. Mais sur ton île, entre tes bras, des mois
pourraient passer sans que mon cœur ne s'en soucie, sans que mon
esprit ne s'en aperçoive...
Une ombre fugitive
passa à ces mots dans les yeux de Calypso.
Ulysse ignorait encore que dans son domaine le temps n'était
plus celui des hommes, que le fleuve des jours ici se faisait glace.
C'était là un des secrets des siens, l'origine d'un
pouvoir qui disparaîtrait le jour où, dans le cœur
des hommes, le rêve ne serait plus, ou emporté par les
vents du changement... Ulysse croyait n'être présent que
depuis quelques dizaines de jours, alors qu'une année
s'était déjà écoulée.
La nymphe aux belles
boucles n'avait aucune envie de perdre Ulysse.
Comment lui dire, lui avouer l'épreuve permanente d'une
éternité de solitude. Certes, elle était
immortelle, figée dans une éternelle jeunesse; mais que
lui servait cette éternité alors qu'elle était
exilée avec pour seuls compagnons ces trêves
éveillés qui étaient ses servantes. Non, Ulysse ne
partirai pas. sa douceur trop humaine lui était devenu
indispensable. Même si elle devait mentir à cet homme
qu'elle aimait, même si elle souffrait de ce mensonge elle ne le
laisserait pas repartir. Pour cela, elle était prête
à braver les loi non écrites que même les dieux
n'osaient enfreindre.
- Ulysse,
tranquillise toi. Si tu a peur de voir tes jours
s'écouler comme le sable alors sache qu'il ne serait pas normal
que je continue de considérer comme un mortel celui qui dans mon
cœur est devenu mon égal. Si ton charme fut suffisant pour
que j'y succombe, alors c'est que tu mérite toi aussi de jouir
d'une vie plus longue et d'entrer directement dans le domaine du divin.
- mais comment pourrais-je y accéder ?
- Demain, nous partagerons la nourriture des dieux Alors tu sera
à jamais immortel, et dépouillé de ton
humanité tu verra les années passer sans rider ton front
et sans altérer le moindre de tes sens.
- Je ne puis
accepter, même si jamais plus beau cadeau ne fut
proposé à un mortel, mais mes problèmes
resteraient les mêmes. En moi je porte la marque de l'humain que
rien ne saurait effacer. mes réactions et mes pensées
sont celles d'un homme, pas celle d'un membre de l'olympe. Je ne puis
rien modifier de mon être profond, où cela me modifierai
tellement que tu n'éprouverais plus rien pour moi, et je ne
pourrais supporter cela. Même le secours de la mort
m'étant refusé, je ne serais plus alors qu'un spectre que
douloureusement hanterai à jamais tes nuits.
- n'est tu donc
pas certain de vouloir demeurer à mes
cotés ?
- je ne sais, je suis travaillé par une pulsion qui en moi me
pousse irrésistiblement vers l'ailleurs. J'ai en moi le besoin
de contempler les dunes qui se dressent à l'orient, de
découvrir des terres et d'autres cieux, de laisser mes yeux
s'égarer dans les mouvantes figures de nouvelles étoiles.
Je demeure le voyageur qui construit son chemin, mais je refuse de le
parcourir seul. En toi j'ai trouvé celle qui partage les joies
et les tourments des jours qui vont s'amoncelant sous les cieux du
lendemain.
- Ne regretteras tu pas tes compagnons, ta famille, ta femme même
? Ne pourraient ils pas t'accorder ce que tu recherche, une
réponse à ton incompréhensible quête ?
- Vois tu, fille de l'olympe, a quel point tu oublis vite l'homme que
je suis. mes compagnons ne sont que brutes sanguinaires qui ne peuvent
voir une cote où une ville sans penser aussitôt pillage et
viols. Ce sont des marins indispensable au voyage, mais en hommes rude
leur cœurs se sont tôt fermés à à la
simple présence du monde. J'ai du copier leurs attitudes, car le
hasard à voulu me faire roi, et j'ai du commander à ces
êtres arrogants avec l'esclave et servile envers leur seigneur.
Ma famille est une prison, longue suite d'intrigues dont l'enjeu est le
pouvoir sur Ithaque, noir rocher aride, surgit des flots par la
fantaisie de Poseidon. Mon propre père, Laerte, m'apprit l(art
du meurtre dès ma plus tendre enfance. Je n'ai été
que le jouet d'un pouvoir que je devais défendre l'arme à
la main, loin des réelles inclinations de mon cœur. C'est
aussi pour cela que l'on m'a donné femme, et
Pénélope elle même n'est placée à mon
coté que dans le but de perpétuer ma lignée,
d'enfanter de nouveaux rois. Mon propre fils Télémaque
n'a de cesse d'atteindre l'age où il pourra,à son tour,
utiliser le meurtre pour avoir un instant seulement l'illusion d'un
fallacieux empire sur l'étendue des flots.
- En vérité, tu n'es pas né, Ulysse, pour les
hommes de ton temps. Partage avec toi l'ambroisie et rejette ce monde
comme il t'a rejeté. Ensemble et éternels nous
réaliserons tes rêves. Nous quitterons cette île
pour toujours progresser et aucune mer jamais ne saura nous engloutir
car nous défierons les siècles et les dieux
jusqu'à ce qu'eux mêmes ne soient plus que cendres dans
les esprits des hommes.
- Je ne sais... Lorsque nous avons pris Troie, j'ai découvert
à l'intérieur de ses hauts murs les marques d'une
civilisation brillante et raffinée, des rats nouveaux. Tout cela
a été détruit par ma faute, perdu à jamais
pour les siècles à venir. Grâce à moi cette
ville où l'esprit humain avait atteint des sommets a
été détruite par le feu et ses habitants promis
à l'esclavage. Nous avons traités comme bêtes ceux
que nous avons vaincus au combat. Pendant le siège, je
n'ai songé qu'à dépasser les autres rois, à
régner au dessus d'eux par mes ruses et les tours. Pour finir,
j'ai été le responsable direct de la perte de la
cité, et ce uniquement à cause d'une trop humain orgueil.
J'ai vu alors détruire ce que j'aurais pu adorer. J'ai peur que
cela ne se reproduise avec toi. Par ma faute, beaucoup sont morts, et
je me dois un peu à eux aussi. Tant que je ne serais pas
pardonné à moi même, je ne serais pas en mesure de
de goûter pleinement à la félicité que tu me
propose.
- Tu ne doit pas te sentir pleinement responsable, tu n'as
été en ces temps que le jouet d'un ordre imprimé
dans l'histoire qui a dicté les valeurs qui te durent
inculquées dans ta jeunesse. Tout enfant est malléable,
son jeune esprit totalement ouvert sur le monde et réceptif
à l'harmonie qui plus tard se voile lorsque passent les ans.
Sois fier d'avoir su te remettre en quête de ces paradis perdus,
d'avoir retrouvé tes yeux d'enfants. Construit ton avenir, notre
avenir, sans laisser ta vue s'obscurcir des cendres d'un passé
qui n'est pas vraiment le tien, mais celui que l'on t'a forcé
à avoir.
Jamais fille des hommes n'avait ainsi parlé à Ulysse. Il
se pencha vers la nymphe et elle répondit à son
étreinte. Ils restèrent étendus dans les rayons du
couchant jusqu'à ce que les premières étoiles
n'apparaissent dans un ciel aussi bleuté que fuyant. Ulysse se
leva alors et, après avoir déposé un baiser sur
les lèvres de Calypso endormie,reprit le chemin de la plage.
Ulysse restait ouvert aux souffles de la nuit, En lui les mots de la
nymphe s'ébattaient tandis que les vagues, lèvres de
l'océan, venaient mourir à ses pieds. En, lui se livrait
le combat entre l'homme du passé et le possible dieu du futur.
Le lourd battement de la marée éveillait un écho
sous ses tempes. La lune énigmatique semblait une fenêtre
ouverte dans les cieux, et tout autour de lui semblait vivre au rythme
de la paix.
Il s'assit dans le sable, songeant à son enfance. Il se revit
gravir les pentes d'Ithaque au coté de son père,
s'interrogeant sur le monde qui l'entourait et ne recevant que de
laconiques réponses inspirées par la primitive logique du
guerrier.
D'autres souvenirs en lui dérangèrent les calmes rythmes
de la nuit. De fugitives images de citadelles enflammées et
d'ennemis hurlants dansèrent devant ses yeux en une macabre
sarabande. Les visages des amis morts au combat
s'éveillèrent aussi pour de muettes oraison dont Ulysse
avait perdu le fil.
Il s'étendit sur le sable frais, cherchant à perdre sa
pensée dans le mystère des étoiles . Sa
curiosité s'éveilla lorsqu'il ne réussit pas
à s'orienter avec elles. les constellations semblaient
différentes,décalées.
Ulysse reconnut cependant les froides étoiles de l'hiver,
réconfort du marin égaré sur l'onde, mais ne put
expliquer leur présence au cœur de l'éternel
été de l'île. Une brève angoisse se peignit
alors sur ses traits à la pensée qu'il était ici
plus séparé que jamais du monde futile des hommes.
Calypso lui avait offerte une séparation plus grande, une fuite
peut être. l'immortalité pour rêver et pour
être, la permission enfin de briser les chaînes de Chronos.
Cependant le cœur d'Ulysse hésitait. Il voulait l'amour de
Calypso mais
réclamait aussi la présence d'autres hommes, de
compagnons rudes certes , mais humains. Pourtant Calypso était
nymphe, fille de l'Olympe, et Ulysse ne s'était jamais sentit
aussi bien, aussi pleinement lui même, que dans ses bras.
Alors que la lune projetait son indifférente lumière sur
le corps étendu du héros,celui ci cherchait à
comprendre et à tracer la frontière entre
l'humanité et la divinité; et se demandait si
malgré tout elle ne serait pas douce à franchir en
compagnie de Calypso.
La nymphe s'éveilla seule sous le dais sombre d'un ciel trop
éloigné pour apporter son secours. Ulysse, elle le
savait,partagerait l'éternité avec elle. Elle n'eut qu'a
tendre l'oreille qui sommeille dans l'âme de chacun pour entendre
s'écouler le flot turbulent des pensées de l'homme
qu'elle voulait faire dieu. Les mains de son esprit caressèrent
l'âme tourmentée du voyageur, apaisant quelque peu ses
craintes. Calypso n'osait aller plus loin. Elle aurait pu forcer Ulysse
à consommer nectar et ambroisie, mais plus que son
immortalité elle désirait l'amour sincère d'un
homme entièrement libre.
Elle se mit en marche vers la plage, et ses pieds agiles foulaient
encore
le sable du chemin lorsqu'elle se plia brusquement en deux sous l'effet
de la douleur.
Un vent plus froid que la mort inconnue venait de la saisir, frappant
son âme inquiète. Le doute n'était plus permis. les
grandes divinités avait eut connaissance de son projet, et par
cette attaque destinée à rappeler à chaque
immortel qu'il pouvait souffrir ils lui faisaient part de leur unanime
réprobation. Sans nul doute le rapide Hermès, messager de
l'Olympe, était il déjà en route.
Déjà l'air s'emplissait de sa présence.
Le cœur de la nymphe pleurait déjà lorsque,
quelques instants plus tard, un tourbillon de nuages surgit de
l'horizon et vint s'interposer entre l'île et les étoiles.
Calypso n'eut que le temps de verser le sommeil dans l'esprit
agité d'Ulysse avant d'obéir à l'ordre
impérieux qu'elle venait de recevoir.
Retournant sur ses pas, elle n'eut aucun mal à reconnaître
dans la pénombre la silhouette altière du messager des
dieux. La fille de l'onde fit face au héraut olympien, et ne lut
que trop la fureur qui habitait le messager aux lueurs indécises
qui hantaient son regard. Leurs sentiments s'affrontèrent en une
joute muette de pensées éthérées qui laissa
la nymphe sans force. Lorsqu'elle revient à elle, le messager
n'était plus qu'un souvenir inscrit en longues lettres
inquiètes dans le sable de sa mémoire.
Ses paroles avaient le goût des sentences auxquelles tous se
doivent
de plier. Les dieux s'était amusés du périple
d'Ulysse. Divisés sur son sort futur ils désiraient que
celui ci reprenne la mer et affronte de nouveaux dangers.
Calypso devait laisser partir Ulysse. Il lui était formellement
défendu d'attenter à sa condition humaine;e t jamais
l'immortalité ne devait lui être accordé. Si cela
était fait malgré les ordres divins alors d'antiques
supplices serait appliqués, conservés pal' le père
des dieux, et nul ne pourrait alors sauver ni Calypso de
l'éternelle souffrance ni Ulysse de l'anéantissement.
En revanche, lorsque Ulysse serait à nouveau libre, il lui
serait accordé, pour complaire à la nymphe,une
renommé telle que jamais nul autre mortel ne saurait comme lui
rester présent dans la fragile mémoire des hommes.
Telle serait la seule immortalité pour le héros: celle de
la mémoire de
sa race et de son sang.
Calypso, l'hiver venu en son cœur, se dirigea vers la plage ou
sommeillait Ulysse. Sa forme assoupie semblait un noir reproche pour
les vents de la nuit, un obstacle soudain aux libertés apprises
en des temps différents plus riches de promesses.
Il s'éveilla à l'approche de la nymphe. Elle venait de
lever d'un geste le voile des songes qui obscurcissaient son esprit
agile et prompt. Il plongea son regard dans l'ombre indistincte qui
masquait les larmes de la déesse, et allait parler en son
cœur lorsque d'un geste las elle lui fit comprendre que pour
quelques instants les mots ne saurait être qu'esclaves à
son service pour pénibles besognes.
- Mes pairs ont
décidés en leur morgue superbe, et ils
m'ont fait savoir que l'heure n'était plus pour l'aube du
sentiment. Ils désirent te voir seul à nouveau sur l'onde
errant en quête d'un ailleurs qui ne peut être atteint
qu'au terme d'une éternité dont ces puissants te privent.
En leur vaste sagesse leur cœur nourrit pour toi de puissantes
rancœurs dont ils sont les seuls juges, aussi ordonnent t'ils que
tu reprenne la mer et voit fuir le rivage. Je devrais sans faillir
appliquer leur sentence et cependant en moi la révolte
s'insurge. Ces dieux omnipotents ont perdus la mesure et à
oublier l'homme ils préparent leur perte en une décadence
qu'au loin ils ne voient que trop poindre...
Ors la dés
demain, roi d'Ithaque,t u devras fuir cette île
et m'abandonner à la seule amitié des rochers et des
herbes en une solitude à nulle autre pareille. Tu trouveras sur
la plage des poutres bien façonnées, des chevilles
luisantes et quelques bon outils aptes à être
maniés par tes mains plus qu'habiles pour fabriquer l'esquif qui
te mènera vers les portes scellées de ton aventureux
destin. Moi même je te donnerais une bonne et belle voile
fabriquée de mes mains et qui t'emportera. Tel sera mon tourment
d'avoir tissé pour toi l'étoffe qui finalement me
condamne à ta perte.
A ces mots le cœur d'Ulysse se serra. Il n'avait nul besoin de la
lumière absente pour percevoir la plainte des larmes de la
nymphe.
- Si les dieux ont
parlé, Calypso, notre voie est tracée.
Déjà je me suis dressé solitaire contre leur toute
puissance et j'y gagnais l'errance sur le dos de la mer.
Néanmoins leur prompt désir de me voir loin de tes bras
m'inquiète, car nombreuses sont les sombres ruses dont usent les
Olympiens pour se gausser des hommes. Je m'interrogeais sur la
réponse à faire à ta proposition, le doute
était en moi et tes pairs me l'ont ôté par cette
eau sur tes joues: je partirais plutôt que de causer ta perte,
car je devine que ton sort, bien loin d'être par trop enviable,
te lie par quelques noirs secrets au respect de serments qui ne furent
jamais pour les lèvres des hommes. Sache cependant que
même si le destin fragile avait voulu que je l'este dans ton
ombre, je n'aurais pas accepté l'immortalité offerte. Je
préfère contempler les secondes volages en sachant
pleinement qu'elles me seront comptées afin de goûter
à toute la saveur des souvenirs enfuis en ententes complice et
de faire de chaque étreinte un moment rare et précieux.
L'ennui ne me parait que trop gagner l'immortel quand celui ci s'amuse
de la vie de l'humain et signale par ces jeux trop indignes
l'avènement prochain d'une décadence promise. Je serais
resté avec toi, Calypso, pour quelques années trop
courtes mais emplies de la divine tendresse que tu m'as
révélée. Demain les vents tendront ma voile et si
tu le veut je ne serais pas seul. Tu pourrais me suivre par les chemins
aventureux que tracera pour moi le flot de l'instable océan.
- Je le ferais,
Ulysse, si j'en avais le pouvoir. Ne crois pas que les
dieux sont fils de la liberté, car elle est pour eux
inaccessible et telle un rêve elle s'élève au
dessus du seuil de leur puissance. Ulysse , mon île est au
delà de l'horizon du temps, les jours qui s'y écoulent ne
sont pas ceux des hommes, et bien des certitudes défendues par
les sages n'ont pas ici valeur de vérité. Sache que la
course du soleil est ici à nulle autre pareille car tel est le
secret des divins sanctuaires où le souffle de Chronos
s'étiole et se disperse. lci les secondes se font plus
paresseuses et les jours au dehors s'écoulent comme sable. Car
enfin il faut que le secret soit dit: l'immortalité n'est que
fallacieuse étreinte qui ne s'applique en tous lieus que
grâce à l'ambroisie, mais pour les hautes demeures des
olympiens victorieux c'est le temps qui s'étiole en hommages
multiples pour une frêle puissance. Depuis que ton regard
à transformé mon âme,Ulysse , il s'est
écoulé en ta patrie lointaine plus de trois années
fertiles en nouvelles.
- Se pourrait t'il
vraiment, nymphe, que tes lèvre
adorées aient scellés un tel secret depuis mon
arrivée? Je sent que tu dis vrai, et mon cœur a bondit,
car cet amour si pur que tu disais le tien à pu pendant des
jours nourrir telle traîtrise et voiler de discours et de triste
magie les années doucereuses tôt passées sur ton
île. Je me doit à présent de reprendre ma route car
même si je reste étranger parmi les hommes au moins je
sais sur eux l'empire du mensonge et la prudente confiance me garde de
leurs coups. Je t'ai ouvert mon cœur comme à nulle autre
femme et tu as pu y lire les caractères fragiles qui disaient
mon tourment. Car malgré l'appel de l'horizon j'aurais pu pour
tes yeux renoncer à l'errance et jeter de nouveau les dés
de l'existence sans me préoccuper de l'arrêt des puissants
et c'est en homme libre que j'aurais choisi ma chaîne
appelée Calypso.
Mais cela n'est plus
qu'un songe évanoui. Vois, je me met en
route vers le rivage ou le travail m'attend. Je vais assembler le
vaisseau qui demain m'emportera hors des lieus fallacieux ou même
la seconde n'est plus qu'inconstance frivole et heures de peine pour le
lointain. Je partirais dés l'aube, plus tôt si je le puis,
mais sèche avant tes larmes et ne pose plus sur moi tes mains
dignes d'éloges car si mes yeux de nouveau rencontraient ton
sourire alors je resterais à tous jamais captif en ce rivage; et
le corps du marin qui sera à la barre ne sera qu'outre vide,
sans esprit et sans feu qui seront eux restés en ton girond
divin.
Et Ulysse prestement se lève et sans regarder la nymphe
s'éloigne vers les autres criques secrètes de l'antre
rocheuse ou l'attendent les poutres de son vaisseau . Il les trouve
finement allongées sur la grève, belles pièces
luisantes faites pour l'œil exercé du marin, et se met
aussitôt à sa besogne.
L'aube le trouve affairé entre les puissants madriers . Il a
toute la nuit lié des fines et bonnes chevilles qui maintiennent
avec art l'ensemble de l'ouvrage, il dresse enfin le mat, installe la
grosse rame qui donne le pouvoir au esquifs trop fragiles
d'éviter les récifs en jouant des courants.
Des chants
retentissent alors tels des bruissements d'ailes car ce sont
les servantes, ces êtres éthérés qui jouent
dans l'air marin avec la grande voile que Calypso blessée
à promise au héros. La Nymphe ne parait pas car les
pleurs la retiennent, en elle de lancinantes questions et de multiples
doutes assaillent sa raison des vents du sentiment.
Des présents pour Ulysse s'entassent sur le rivage: outre la
fine voile ajustée au bon mat des outres de vin pur, d'eau et de
parfums puissants sont amenés sur' la rive par le jeu des
servantes. Les provisions aussi sont données à Ulysse
afin que sur le dos arquée de l'immense océan son corps
soit préservé des tourments de la chair et que seul son
esprit lutte contre le temps.
Ulysse enfin attend la marée propice à ses desseins. Il
ne veut revoir la nymphe de peur de succomber, d'oublier que les ans en
ce lieu durent jours et de ne revoir les siens une dernière fois
qu'a l'aube de la fin ou dans une autre époque.
Le navire est
à l'eau et le reflux le porte vers l 'horizon plus
large en un ciel révélé. La fine voile se gonfle
du souffle d'un vent ami et l'île disparaît comme un songe
distant lorsque le réveil se profile en lumières
mouvantes et que s'évanouissent les mondes de la couche.
l'océan bientôt révèle son étendue.
La soif tourmente Ulysse sous lIa caresse solaire, aussi ouvre t'il une
outre et goûte l'étrange boisson au goût de fruit
que Calypso à préparée pour lui. Il est en proie
au doute
sur son fragile esquif , et l'appel de la mer un instant
retrouvé ne présente plus les charmes délicats que
lui donnait autrefois l'émotion de l'étrave.
Indifférent au martèlement des flots sur les planches
jointives il songe au temps passé sur l'île de la nymphe,
combattant ces pensées par la joie qu'il veut créer sur
son retour attendu. Emotion fallacieuse dans le cœur du
héros qui sait qu'étranger il restera en sa maison et en
son temps. Il est partit sous le coup de la confiance trahie et du
légitime orgueil qu'il a vu offensé. Il croyait avoir
mérité la sincérité de la nymphe. Que n'a
t'elle révélé le secret de son antre dés le
début a Ulysse: se réjouissant d'avoir trouvé
pareille retraite sur l'étendue hostile qui se joue de ses
rêves, il aurait avec joie accepté de rester à
jamais, en sa sure demeure, auprès de Calypso.
Son regard se perdant sur la crête des lames il
préfère plonger dans les abîmes de son être
en quête de vérité. Il s'adresse aux embruns,
à l'écume et à l'onde qui l'emporte:
- La folie qui m'habite sert les obscurs desseins des dieux qui se
jouent de ma vie et négligent ce qui naît dans les profondeurs
de mon cœur. En quittant l'île j'obéis servilement
aux ordres de ces démons mais la vie est défi plus
sûrement qu'offrande. La révolte nait de trop
d'abnégation et la divinité n'est pas forte muraille
contre le ressentiment
qui se fait jour dans
l'ombre lorsque l'abus de puissance dirige les
destins. Calypso a trahie ma confiance mais ne s'est elle pas
montrée pour moi désireuse de braver les lois et les
désirs de ses pairs? Les châtiments divins sont synonymes
de vastes souffrances encourues en mon nom. Le mensonge n'est que fuite
dans ma propre obscurité pour un sentiment qui n'ose dire son
nom. Calypso est pour moi a nulle autre pareille et fuir n'est que
folie comique pour les dieux. Pour retrouver les hommes j'ai cru en mon
retour, mais ou est l'homme enfin si ce n'est dans mon cœur? Mes
pareils ne sont pas les pâtres nonchalants de la lointaine Ithaque ni
les courtisans fourbes habiles dans les poisons. L'identité des
êtres est sise au delà de l'apparente diversité des
regards, et comment mieux défier les dieux qu'en portant ma
constante vindicte dans leur propre sanctuaire jusqu'ici
inviolé. Ainsi sera venu le temps de la vengeance d'Ulysse qui
élèvera sa face vers des ciels étoilés en
riant d'y contempler sa nouvelle demeure ouverte sur un monde tout
entier d'océans et d'embruns agités. J'ai cru perdre mon
humanité en acceptant l'offre de Calypso mais qu'est ce
qu'être humain sinon rejeter la basse sujétion et
combattre l'indéniable fatalité qui orne l'existence?
Cela je le ferais car pour tous je reste Ulysse maître de mon
destin en un défi au dieux!
Le héros alors s'empresse sur la voile,la replie finement entre
ses mains expertes puis pèse sur la rame pour infléchir
sa course. Le fragile esquif entame une orbe forte et use de la
marée pour louvoyer prudemment.
La cote de nouveau se dessine en reflets
indécis qui lentement s'organisent en fêtes
colorées pour les yeux du marin qui distingue bientôt les
rocs usés parle temps et les forets épaisses plus sombres
que le mystère. La marée peu propice gène trop la
manœuvre et le navire tourne en attendant son heure, inscrivant
sur l'échine océane de grands cercles blanchâtre,
témoins d'une impatience .pour le prix d'une erreur.
Ulysse fatigué par l'effort dévore à belle dent
les provisions juteuses qui lui ont été offertes.
Aussitôt en a t'il avalé la première bouchée
que de sombres nuées obscurcissent le ciel. Un vent violent se
lève, furieux, de l'horizon et déferle sur l'île en
violentes bourrasques qui font ployer les arbres sous leurs assauts
furieux. Le tonnerre fait entendre sa voix
lorsque la foudre
s'abat sur le domaine de la nymphe. En un instant
Ulysse et son bateau sont entraînés vers l'île,
bousculés par les flots ils atteignent la terre et le
héros alors, luttant contre le vent, se met en marche pour
retrouver la nymphe au belle boucles. La chance a voulu que son lieu
d'abordage ne soit pas trop éloigné de l'endroit ou
réside la reine d'Ogygie. Aussi se hâte t'il sur les
petits chemins, s'étonnant de n'y point trouver la cohorte
habituelle des esprits facétieux serviteurs de la nymphe. Enfin
il débouche dans la clairière embaumé de
lumière ou siégeait sa compagne avant qu'il ne s'en aille
il y a quelques heures, ou une éternité.
Mais Calypso n'est plus seule: une forme altière lui fait
face à présent, et sourde aux pleurs de la nymphe elle
pointe sur elle le doigt vengeur d'un dieu à l'orgueil
offensé. Hermès alors pour être compris d'Ulysse
fait taire son esprit puissant et tumultueux et parle de façon
à ce que les oreilles du héros comprennent son message.
- Ainsi donc voilà celui pour lequel, nymphe, tu as encouru le
courroux de tes pairs! Sache cependant que ton triomphe perfide ne
s'étendra pas longtemps à la face du monde, car nul ne
peut impunément braver la loi divine et accorder
l'immortalité comme on offre une fleur. Le père des dieux
lui même n'aurait pas osé accomplir aussi grande trahison,
et
il est de coutume
pour conserver les mortels chers à nos
cœurs, de les transfigurer en êtres moins fragiles que nous
pouvons garder hors des griffes de chronos. Qu'importe les raisons qui
ont conduites ton acte, car l'ordre t'avait été transmis
et tu n'a pas obéit. Mais qu'as tu, Ulysse, tu semble
interloqué. Calypso ne t'aurait elle dit mot de la fourberie
qu'elle déploya pour parvenir à ses fins? Allons nymphe,
raconte à ton aimé la folie qui t'a inspiré, parle
lui tant que tu le peut encore!
Calypso alors tourne vers le héros son beau visage ou,
malgré les larmes, tout homme pourrait lire l'empreinte fugace
de la fierté d'avoir été libre de défier le
destin.
- Je ne pouvais me résigner à te laisser partir sans
t'offrir le cadeau que je te destinait. Je voulais être sure que
par delà les ans tu reviendrais un jour auprès de ma
chaleur. Tel était le prix de l'espoir, et comme je
désirais que tu échappe à jamais à
l'emprise des secondes dévoreuses de souvenirs j'ai
mêlé à ta nourriture le nectar et l'ambroisie dont
j'ai dissimulé la forme par quelques charmes secrets coutumiers
pour les nymphes et les esprits des bois. Ors tu as absorbé le
pain et le vin des dieux et te voilà à présent
semblable a nous dans l'immuable éternité de ton corps
que jamais ne viendra faner l'âpre travail du temps. Tu es des
notre à présent et pour l'éternité car la
force d'un sentiment n'a que faire des menaces que font planer sur lui
des dieux absurdes et vains qui ont oubliés qu'être
c'était aussi donner.
- Les dieux n'ont pas, nymphe, à être jugés. Ils
sont par leur nature au delà du bien et du mal . Ils
s'ébattent au delà de la vérité dans les
landes de l'inconscience et des désirs inassouvis. Ils sont
expression et pouvoir et rêves et plus encore... Et ils ont dit
ceci:
" Pour avoir bravé la volonté des tiens nous te
condamnons, telle est la sentence: Ulysse est immortel puisque tu en as
disposé ainsi, mais cette immortalité te sera rendue
lourde, nymphe, et sera pour toi souffrance quotidienne. E n effet nous
savons que pour te faire souffrir c'est Ulysse qu'il nous faut frapper.
Notre messager en un signe émettra donc sur lui
l'antique foudre de
Chronos,car s'il est dit qu'Ulysse ne peut mourir
nous le feront vieillir malgré ta volonté. Tu sais en
effet que si la vieillesse nous est évité c'est par
l'étrange pouvoir que le père des dieux a toujours voulu
taire et qui habite en nos cœurs étrangers aux faiblesses
des hommes. De ce pouvoir nous userons et déchaînerons sur
Ulysse une foule de siècles qui viendront à bout de
l'effet de l'ambroisie divine. Nous le transformerons en un impuissant
vieillard à la raison enfuie et malgré le cœur
noble qui battra en sa poitrine c'est moins que l'ombre d'un cadavre
qui peuplera ta couche pour une éternité. Tel est le
châtiment qui sera appliqué en réponse au
défi que tu nous a jeté, afin que nul n'ignore que les
régIes intangibles de l'Olympe ont aujourd'hui retrouvés
l'étendue de leurs forces tout comme aux premiers instants."
Les dieux ont parlé, j'applique la sentence.
Hermès pointe sa main vers Ulysse qui, stupéfait, ne peut
plus se soustraire aux arrêts de la divinité. Ils est
subjugué par le regard doré du messager des dieux ou de
temps en temps apparaissent de reflets couleur de flamme ardente. Alors
l'acte qui se dessine est interrompu par le cri de la nymphe, car
Calypso au pas rapide s'interpose entre le vainqueur de Troie et
l'envoyé de l'Olympe et au moment ou un trait puissant de
vivantes lumières s'élancent de ses doigts vers le
cœur du héros. C'est le flux mouvant du temps
concentré à l'extrême qui frappe calypso en son
être secret, la traverse même et vient mourir au pied
d'Ulysse, l'effleurant à peine.
Ce fugitif contact a suffit cependant pour que sept années
s'écoulent et marquent de quelques rides le front du
voyageur désespéré. Car voici qu'a la place ou se
tenait la blanche silhouette enveloppée de voiles plus fins que
des caresses il n'y a plus qu'une sombre vielle, alourdie et
voûtée sous le poids de siècles innombrables, qui
radote en bavant promenant autour d'elle un regard éteint ou
règne la folie. Hermès lui même est effrayé
des conséquences de son acte.
- Nymphe, qu'as tu fait là? Il n'est point de pardon pour ceux
qui s'opposent ainsi aux arrêts divins! Nul ne peut te sauver
à présent, et en moi même je pleure de perdre plus
qu'une sœur par cet acte insensé qui te prive des recours
et des suppliques qui eussent pu te sauver!
Mais le temps des paroles est passé. La déchéance
est trop profonde. Le maître des immortels arme son bras
justicier et la foudre s'abat sur ce qui fut Calypso. Ulysse est
ébloui par la lueur subite. Des cendres de la nymphe surgira un
buisson qui recouvrira l'île ses ramures puissantes. Il ira
jusqu'à l'onde qu'il contemplera pour une éternité
dans la vérité océan empreinte de rumeurs.
Le héros est en pleurs sur l'île ou il connu pour une fois
le bonheur. Il a maintenant l'éternité pour sa tristesse,
les siècles pour les larmes.
Il plonge ses mains dans la cendre de celle qui le reçus,
essayant de retrouver par ce contact fugace l'odeur évanouie de
celle qu'il aimait. Las, l'odeur n'est que celle de la flamme qui
consume les vies en amours impossibles et qui se rient de tous, hommes
et dieux, et à l'aune de laquelle se fera un jour un jugement
ultime avant le plein midi pour les œuvres de l'homme...
le messager des dieux a un dernier regard vers celui qui, il le sait, a
conquis en un instant plus de grandeur et d'amour qu'il n'en aura
jamais. Il secoue la tète, puis reprend son vol et s'en retourne
pensif vers le séjour divin.
Le lendemain l'aurore au doigt de l'ose trouve Ulysse endormi sur son
esquif fragile. Partout autour de lui l'océan arque son dos
mobile, et un courant favorable l' entraîne vers le large. Sur
ses joues le sel de la mer s'est mêlé à celui de
ses yeux. A son l'éveil son regard parcours l'azur sans but.
Dans quelques heures un rivage inconnu surgira de l'onde mais Ulysse,
dans l'ailleurs, ne l'apercevra pas. Ces yeux sont vides à
présent sans le souvenir pour y dessiner les chants de la
lumière.
Le flot l'emporte alors que son bras éprouve
la fraîcheur de la mer qui l'accepte pour un nouveau retour aux
sources du voyage. Plus tard s'ouvriront d'autres routes vers des
contrées étranges par delà l'imagination des
poètes, mais qu'importe. Il sera temps alors d'être autre,
d'être seul.
Mais la voile le porte vers l'horizon qui déjà
s'atténue et où il se fondra en une
éternité pour célébrer l'union de l'homme
et de la légende.
RR, 1988
Le
mythe égalitaire
Le pouvoir destructeur d'une volonté
inconsciente
Au nom d'une idéologie inconsciente,
l'égalitarisme, on a voulu nier l'importance de l'individu et
des différences individuelles, ce qui a amené des
dysfonctionnements sociaux importants:
L'individu est l'unité. Son existence
s'oppose à la normalisation étatique promue en France
depuis toujours: à un état féodal
centralisé, nous avons fait succéder un état
tentaculaire. Dans notre pays, nous avons consciencieusement
empilés les couches administratives sans vouloir utiliser et
intégrer à nos structures les découvertes
technologiques qui auraient réellement pu changer notre
vie.
Notre administration vit encore à l'heure
du courrier sur papier et des fiches cartonnées, notre
état vit encore, avec les départements, à
l'époque de la traction hippomobile; notre éducation,
malgré quelques efforts, reste rétive à toute
évolution. Car en France toute
évolution est perçue comme une remise en cause
potentielle d'avantages acquis et considérés comme
autant de valeurs sacrées, même, et surtout, si les
conditions qui avaient rendues leur élaboration
nécessaire sont de nos jours obsolétes...
- Dans l'éducation ou la
référence à la moyenne comme donnée
d'excellence s'impose dans le cadre d'une vision mathématique et
statistique de la performance individuelle. Cela aboutit à ne
pas prendre en compte les difficultés des élèves
les plus faibles, qu'une pseudo-indulgence permet de traîner de
classe en classe jusqu'à la fin de la scolarité
obligatoire; et à laisser s'ennuyer nombres
d'élèves doués qui, faute de stimulations
adaptées, sous-utilisent ou perdent leurs capacités.
- Dans la justice ou la vision d'une
égalité absolu entre les individus conduit à
absoudre la petite délinquance et à la
déliquescence du concept de responsabilité. Ainsi, le
terme de délit tend à disparaître pour se voir
remplacer par celui d'incivilité", beaucoup plus vague, et qui
permet d'occulter le fait que celui qui commet un délit n'est
plus un délinquant, mais un "incivil". C'est donc la
société qui est à blâmer, et non pas
l'individu. Celui ci n'est donc plus responsable de ses actes. Pendant
ce temps subsistent de vrais inégalités touchant les
femmes et la reconnaissance de leur travail.
- Dans la politique ou un égalitarisme
forcené a dilué des valeurs comme le travail personnel,
l'effort et le mérite individuel dans l'océan de "droits"
aussi nouveaux que dénués de contrepartie: droit aux
soins médicaux gratuits pour les non nationaux, droit au
logement, droit au revenu, droit au vacances...
La négation de l'individu conduit
à l'extinction de la responsabilité
individuelle