La diaspora
bactérienne: possible existence d'une zone isobiologique
galactique
R.Raynal
Dr de l'université de Toulouse
AVERTISSEMENT: ceci est une ancienne version d'un article proposé en vain, qui reste valable sauf en ce qui concerne l'extension spatiale de la réaction en chaine, plus limitée au vu des dernières données que celle envisagée ici, mais bien plus probable qu'à l'époque de la rédaction de cet article. Une nouvelle version sera prochainement proposée à l'académie des sciences.
Résumé
Des travaux récents en microbiologie ont mis en lumière l'étonnante résistance des bactéries aux conditions extrêmes, leur surprenante durée de vie et leur ancienneté à la surface de la Terre. En astronomie, l'existence de transferts de matériaux entre planètes différentes est maintenant avérée. On peut en déduire la possibilité d'une large diffusion des formes de vies bactériennes à l'échelle non seulement du système solaire, mais également d'une région étendue de notre galaxie. Une large zone de la Voie lactée serait alors peuplée, dans des biotopes divers, de formes de vies bactériennes similaires, sinon identiques, qui constitueraient une base commune à partir de laquelle l'évolution aboutirait à des formes de vies plus variées.
Abstract:
Recents advances in microbiology and astronomy showing at the same time:
- the surprising resistance of bacteria on extreme conditions
- their incredible life expectancy
- the existence of a transfer of materials between different planets.
It's possible to deduct the possibility of a wide distribution of bacterial life forms at the ladder, not only of the solar system but also, can be, of the complete galaxy. Then, a large "isobiologic" area of the galaxy would possess in different environments a bacterial life similar or identical.
Les bactéries dans l'espace
L'espace interplanétaire passe pour être un des milieux les plus hostiles à la vie: ni eau ni air, un vide poussé, des contrastes thermiques énormes et des rayonnements variés semblent y exclure de prime abord toute possibilité de conservation de formes de vie. Bien que l'idée de l'origine extraterrestre de la vie soit ancienne (Svante Arrhénius l'avait avancé en 1910), les expériences du célèbre Becquerel, effectuées en 1924, montrant que des spores bactériennes ne résistaient pas aux U.V., semblaient avoir clos le débat.
Toutefois, plusieurs indices ainsi que des travaux récents suggèrent que des bactéries placées dans un environnement spatial sont susceptibles d'y survivre pour peu qu'un minéral puisse les abriter du rayonnement U.V. Le premier indice nous est revenu de la Lune en 1970: les astronautes d'Apollo 12, C. Conrad et A. Bean, récupérèrent la caméra de la sonde suveyor 3 qui était sur notre satellite depuis avril 1967. L'analyse de cette pièce révéla la présence d'un streptocoque qui avait résisté au voyage et à trois années sur le sol lunaire.
Les roches lunaires prélevées par des sondes soviétiques Luna et conservées scellées (qui ne peuvent avoir été contaminés) ont également montré l'existence de reliquats d'origine biologique (1) qui présentent une forte analogie avec des organismes terrestres. Ils pourraient donc avoir été déposés sur notre satellite par des roches arrachées à la surface de notre planète.
Un second indice nous est fourni par l'existence de bactéries dans la haute atmosphère de notre planète, à une altitude de 30 km (2, 3) ou les conditions tiennent plus du milieu spatial que de la surface terrestre.
D'autres données ont été obtenues par l'étude des météorites d'origine martienne comme ALH84001 ou EETA 79001. Bien que les résultats obtenus soient controversés, ils montrent l'existence d'un faisceau d'indices convergents en faveur d'un transport de micro-organismes, au moins à l'état fossile (4), entre Mars et la Terre: présente de carbonates, de cristaux de magnétites d'origine bactérienne (5) et de microstructures ressemblant fortement aux nanobes récemment découverts sur notre planète (6, 7).
Il semble donc que l'intérieur d'une roche fournisse aux bactéries un abri susceptible de les protéger du milieu spatial, ce que plusieurs expériences en cour ou projetées permettront de vérifier.
Outre leur résistance matérielle, la vie bactérienne fait également preuve d'une longévité exceptionnelle: plusieurs équipes de microbiologistes (8) ont confirmé que des bactéries étaient capables de rester vivantes dans des cristaux de sel pendant plus de 250 millions d'années !
Les bactéries vivent majoritairement dans les roches
Les études concernant le dénombrement des micro-organismes ont montré non seulement que notre planète contient actuellement 5x1030 cellules bactériennes, mais aussi que plus de 90 % de celles-ci résident dans les roches du sous-sol continental ou océanique (9) ! Les nombreuses espèces de bactéries souterraines qui ont été isolées vivent à des profondeurs comprises entre 4 et 7 km. Elles sont souvent autotrophes et résistent à des températures allant jusqu'à 140°C. De véritables écosystèmes bactériens, comprenant également des champignons (10), ont été observés à des profondeurs de 3 km, la limite inférieure de vie étant plus fonction de la température que de la pression. Les nanobactéries présentent des caractéristiques encore plus étonnantes: certaines ont été extraites à 4 km de profondeur (11), à des températures de 150°C et des pressions de 2000 bar!
On peut légitimement en déduire que les premiers km de l'écorce terrestre constituent l'habitat principal des formes de vies terrestres les plus répandues, à savoir les bactéries et les nanobactéries. Dès lors, si des fragments de roche provenant d'une planète où la vie bactérienne est développée peuvent être satellisés à la suite d'un choc météoritique, il est légitime de penser qu'ils peuvent véhiculer des micro-organismes dont certains sont capables de résister à un long séjour dans l'espace (12, 13).
Transport interplanétaire et interstellaire des formes de vie
L'étude des météorites a permis de récolter 13 spécimens, les SNC, dont l'origine martienne ne fait pas de doute (14). L'existence d'un transfert de roche entre les planètes du système solaire ne fait donc aucun doute. La plus forte probabilité d'éjection de matériaux planétaire dans l'espace se situe à l'époque ou les bombardements météoritiques ont été les plus fréquents, c'est-à-dire il y a environ 3,9 milliards d'années (15, 20). C'est précisément à cette époque que la vie bactérienne s'est développée sur Terre (16, 17), et peut être sur Mars. L'origine de cette vie pose peut-être en elle-même un problème: il semble qu'elle se soit développée sur Terre, dans des conditions cataclysmiques, bien plus tôt que ce que l'on croyait. De plus, l'étude de l'"horloge moléculaire" des bactéries leur assignerait un âge voisin de 10 milliards d'années (18), remettant en cause leur origine terrestre...
L'énergie nécessaire pour ces lancements dépend de la masse de la planète de départ, qui conditionne sa vitesse de libération. Il est bien plus facile de satelliser des minéraux martiens que ceux provenant de la Terre, mais la fréquence et l'énergie des impacts étaient telles à l'époque (notre Lune en porte la trace) que cette satellisation naturelle a du être équivalente, ou peu s'en faut, pour ces deux planètes. Pour être projetés dans l'espace, les débris rocheux doivent dépasser 11 km/s sur notre planète, et 5 km/s pour Mars. L'énergie des impacts météoriques est largement suffisante pour permettre l'émission de fragments à des vitesses égales ou supérieures, et leur accélération très brutale n'est pas un facteur de destruction de la vie bactérienne: il a été établi que ces dernières peuvent résister à des accélérations de 30000 g (13). D'autres chercheurs ont confirmé ces résultats et montré que des bactéries sont capables de résister à des impacts météoritiques majeurs.
A l'époque où les chutes de météores étaient extrêmement fréquentes et où la vie se développait, des micro-organismes ont donc pu être arrachés à la surface de leur planète d'origine et se sont mis à voyager dans le système solaire, ce qui doit nous conduire à ne plus regarder les planètes différentes comme étant biologiquement isolé. En effet, les bactéries voyageuses sont parfaitement capables de résister au choc d'une rentrée atmosphérique, car il a été démontré que le centre d'une météorite de bonne taille ne s'échauffe quasiment pas durant la traversée de l'atmosphère terrestre (13). J'ai donné le nom de "diaspora bactérienne" à cette dispersion spatiale des micro-organismes, souvent appelée lithopanspermie
La majorité des météorites connues ont une vitesse de l'ordre de 20 km/s. Comme il suffit de 17 km/s pour quitter le système solaire, il est probable que certaines météorites ont quitté celui-ci et ont pu entamer un voyage interstellaire. Certaines données ont permis un moment de croire qu'une météorite d'origine interstellaire avait atteint la Terre au-dessus du Groenland, en décembre 1997 (19) mais bien que des études ultérieures ait jeté un doute sur cette analyse, le transfert de matériaux entre étoiles voisines n'est pas une question de probabilité, mais de temps. Des calculs de mécanique céleste ont montré que 25 % des météores d'origine martienne ont été éjectés hors du système solaire à cause de l'influence gravitationnelle de la planète Jupiter (21, 22). D'autres calculs ont montré (23) qu'une météorite émise par une planète de notre système solaire est captée tous les 100 millions d'années par un autre système stellaire.
Les bactéries, protégées à l'intérieur des météorites, ont le temps en leur faveur. Le temps d'atteindre les étoiles, mais aussi, accessoirement, de contaminer toutes les planètes du système solaire, avec des fortunes diverses selon les cas.
Une vie bactérienne similaire dans toute la galaxie ?
Quelle est l'étendue du domaine galactique que j'appellerai isobiologique dans lequel nos propres bactéries, parties voici 4 milliards d'années, ont pu voyager et ensemencer d'autres planètes ?
Une météorite partie de la Terre avec une vitesse de 20 km/s, qui n'a rien d'exceptionnel, peut atteindre Jupiter en quelques années (la ligne droite n'est pas le déplacement le plus efficace dans le système solaire!). Nous pouvons calculer que nos bactéries voyageuses mettront 75000 ans pour parcourir 5 années-lumière et atteindre l'étoile la plus proche. Cette durée nous semble immense, mais pour une bactérie capable de vivre 250 millions d'années elle équivaut à seulement 8 jours de votre vie!
En 1,5 million d'années, nos voyageuses auront parcouru 100 années lumières, rencontrant plusieurs étoiles et tombant, éventuellement, sur leurs planètes... 150 millions d'années leur suffisent pour couvrir 10000 années-lumière, soit une bonne part de la galaxie.
Un météore parti de notre système solaire il y a 3,5 milliards d'années a pu parcourir 230000 années lumières soit deux fois le diamètre de notre galaxie! Bien entendu, cette valeur est très imprécise: les déplacements ne se font pas en ligne droite, ils sont déviés par les différents champs gravitationnels rencontrés.
Toutefois, cela implique la possibilité que de vastes régions de notre galaxie, voire celle-ci toute entière, ait été contaminées par des formes de vies microbiennes identiques: l'échelon de base de la vie serait le même dans une vaste région galactique !
On doit donc en conclure à la possible existence dans la galaxie d'une vaste zone "isobiologique" dans laquelle les micro-organismes sont, fondamentalement, similaires. Le point de départ de la complexification biologique qui, sur Terre, a abouti à la vie intelligente est donc probablement le même sur les divers mondes de la galaxie.
La vie est une réaction en chaîne à l'échelle galactique
la généralisation des chocs météoriques dans les systèmes planétaires (15,20) et la résistance des micro-organismes nous montrent qu'il suffit que la vie apparaisse une seule fois dans un volume aussi important qu'une galaxie pour qu'en quelques milliards d'années elle puisse se répande à travers celle-ci. La durée d'expansion pourrait même être plus rapide que nous l'avons envisagée: un météore ensemence une planète, la vie s'y développe, mais cette planète est elle-même source de plusieurs météores porteurs de formes de vie, dont un petit nombre va ensemencer au moins deux autres mondes, qui à leur tour.... On se retrouve non pas dans le cas d'une expansion linéaire du phénomène vivant, mais bel et bien avec des phénomènes de diffusion qui prennent l'aspect d'une réaction en chaîne qui aboutit à une large dispersion de populations microbiennes identiques dans de nombreux mondes possédant les caractéristiques écologiques permettant le maintient et le développement de celle-ci.
Imaginez la surprise de vaillants astronautes qui, au prix de mille difficultés, aboutissent laborieusement sur une planète lointaine pour y découvrir que les ancêtres des bactéries qu'ils ont transportées dans leurs intestins les y ont précédés ! Les véritables voyageurs de l'espace ne seraient pas ceux à qui l'on pense...
Références
1 - Zhmur S., Gerasimenko LM. Biomorphic forms in carbonaceous meteorite Alliende and possible ecological system - producer of organic matter hondrites. Instruments, Methods and Missions for Astrobiology II, Richard B. Hoover, Editor, Proceedings of SPIE Vol. 3755, 1999, 48-58.
2 - Sattler B, Puxbaum H, Psenner R. Bacterial growth in supercooled cloud droplets . Geophys. Res. Lett. 2001, Vol. 28, 2, 239
3 - Bruch, C.W. Airborne Microbes Symposium of the Society for Microbiology. No. 17 (P.H. Gregory and J.L. Monteith, eds) p. 345, Cambridge University Press, 1967
4 - Mc Kay - Gibson - Thomas-Keprta - Vali - Romaneck - Clernett - Chillier - Maechling - Zare. Search for past life on Mars: possible relic biogenetic activity in martian meteorite ALH84001. Origins of life & evolution of the Biosphere 27 (1-3), 263-289 - 1997 Jun
5 - Kathie L. Thomas-Keprta, Dennis A. Bazylinski, Joseph L. Kirschvink, Simon J. Clemett, David S. McKay, Susan J. Wentworth, Hojatollah Vali, Everett K.Gibson, Jr., Christopher S. Romanek. Elongated prismatic magnetite crystals in ALH84001 carbonate globules. Geochimica et Cosmochimica Acta, 2000, V 64, N 23, 1 December. 4049-4081
6 - Folk, R. L., Lynch, F. L. Nannobacteria are alive on Earth as well as Mars: Proceedings of the International Symposium on Optical Science, Engineering, and Instrumentation (SPIE), v. 3111, 406-419. 1997
7 - Folk, R. L., Lynch, F. L. Mendenhall, J. Nannobacteria-like carbon bodies in the Allende and Murchison carbonaceous chondrite meteorites, with comparisons to Earth. Geological Society of America Abstracts with Programs, v. 30, p. A-290. 1998
8 - Vreeland RH, Rosenzweig WD, Powers DW. Isolation of a 250 million-year-old halotolerant bacterium from a primary salt crystal. Nature 407 (19/10), 2000, 897-900
9 - Amy P.S., Haldeman D.L. The microbiology of the terrestrial deep subsurface CRC Lewis Publisher, Boca Raton, Fl, 1997
10 - Whitman W.B., Wiebe W.J. Un recensement planetaire des microbes. La recherche 317, 02/1999, 26-29
11 - Uwins PJR, Webb RI, Taylor AP. Novel nano-organism from australian sandstones. American mineralogist 83, 1998, 1541-1550
12 - Roten C.A. - Origine extraterrestre ? Pour La Science 261 - 07/ 1999 - 29
13 - Roten C.A. H., Gallusser A., Borruat G. D., Udry S. D., Karamata D. Impact resistance of bacteria entrapped in small meteorites. Bull. Soc. vaud. Sc. nat. 1998, 86.1: 1-17
14 - Gladman B.J., Burns J.A., Duncan M., Lee P., Levison H.F. The exchange of impact ejecta between terrestrial planets. 1996, Science 271: 1387-1392
15 - Bendjoya P. Collisions dans le système solaire - ed Belin, 1998
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18 - Roten C.A. Communication personnelle.
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