La controverse d'Allen Hills
En décembre 1984, une équipe de chercheurs découvre à Allen Hills, dans l'antarctique, une météorite de 2 kg. L'étude de cette roche numérotée ALH84001 révèle en 1988 qu'elle est d'origine martienne. Ce caillou allait donner lieu à de nombreuses publications contradictoires assorties de prises de position qui tiennent souvent plus de la philosophie et de la politique que de la science. A la base, une équipe de la NASA, dirigée par David Mc Kay, fait état de l'identification de fossiles de bactéries martiennes ainsi que de l'existence de matière organique d'origine martienne. Les microstructures observées dans cette météorite auraient été les premières preuves directes de l'existence d'une vie extraterrestre issue de Mars. Si la provenance de la météorite ne fait guère de doute (les bulles de gaz qu'elle renferme ont la même composition que l'atmosphère de Mars), il en va tout autrement de l'interprétation des résultats obtenus.
Les travaux de l'équipe Mc Kay devaient être publiés dans la sérieuse revue Science, mais une indiscrétion alerta les médias avant publication: la NASA improvisa une conférence de presse, et même le président Clinton intervint sur les écrans. Cette façon de communiquer a le don d'hérisser les poils des caciques, pour qui il semble que la science doit rester discrète (il faut dire qu'en France, ils n'ont jamais à justifier l'utilisation des fonds qui leur sont alloués...). Certains accusèrent même la NASA d'avoir sciemment organisé la fuite, voire bidonné les analyses pour obtenir de meilleurs financements par le congrès des USA. Cette attitude, typiquement française, était surtout motivée par la totale incompréhension de la façon dont le budget de la NASA doit être obtenu, mais aussi par un antiaméricanisme pathologique.
Malgré ce dénigrement, deux camps émergèrent autour de l'énigmatique météore, celui des pro et des anti-martiens. A la lecture de leurs travaux, on doit reconnaître que des hypothèses non biologiques peuvent suffire à expliquer presque toutes les caractéristiques observées. Cependant, si chaque observation peut être expliquée séparément, leur présence simultanée dans un même échantillon est de nature a surprendre fortement. En désespoir de cause, les "anti-martiens" en vinrent à invoquer une contamination biologique terrestre: le météore ayant séjourné 13000 ans dans l'Antarctique, nos bactéries à nous ont eu tout le temps de le coloniser et le transformer (on remarquera que cela revient à valider l'existence des nanobactéries, qui est parfois décriée par ces mêmes équipes de recherche...).
Mais une équipe de l'université d'Iowa identifia dans ALH84001 des cristaux de magnétite qui ressemblent comme des frères à ceux élaborés sur Terre par des bactéries, et elles seules... Il sera facile de crier encore à la contamination, même si d'autres météorites martiennes, comme EETA 79001 ou une nakhlite récoltée en Egypte en 1911, présentent elles aussi des caractéristiques suspectes. En 2003, deux scénarios (2 - 3) proposent une origine non biologique à ces cristaux mais, le 16 Juin 2009, l'équipe de Mc Kay publie un volumineux article (47 pages – 4) décrivant l'analyse minutieuse des carbonates et de la magnétite de ALH 84001 au mùoyen de techniques extrêmement performantes. Voici le résumé commenté de leur publication:
« La météorite martienne ALH84001 conserve la preuve d'une interaction avec des fluides aqueux martiens sous forme de microscopiques disques carbonatés. Ces disques sont soupçonnés d'avoir précipité il y a 3,9 Ga, au début du Noachien sur Mars, époque au cours de laquelle la surface martienne la plus ancienne, et peut-être les océans mondiaux les plus précoces, ont été formés. Des nanocristaux de magnétite (Fe3O4) sont Intimement associé, à l'intérieur et au long de ces disques carbonatés, avec des propriétés physiques et chimiques inhabituelles dont les origines sont devenus la source de nombreux débats. »
En fait, des origines non biologiques ont été trouvées (sont possibles) pour chacun des éléments étonnants de cette météorite, sauf, justement, ces cristaux, pour lesquels, toutefois:
« Un groupe d'hypothèses propose que des ces magnétites sont le produit de décomposition thermique partielle du carbonate primaire. »
Il existe deux modèles expliquant la décomposition des carbonates et conduisant à la formation de cristaux de magnétite: celui de Brearley (2003) qui explique cette décomposition suite à l'impact ayant propulsé loin de Mars la météorite, et celui de Treiman (2003) ou cette décomposition à eu lieu sur Mars, in situ, « à une profondeur sous la surface martienne où la pression est plus grande que la pression atmosphérique et où la température a lentement décru ».
« Nous avons cherché à choisir entre ces hypothèses grâce à la caractérisation détaillée de la composition et des relations structurelles des disques carbonatés et des magnétites associée à la matrice d'orthopyroxène à laquelle ils sont incorporés. L'utilisation généralisée des techniques de faisceau d'ions focalisés a été utilisé pour la préparation de l'échantillon. Nous avons ensuite comparé nos observations avec celles provenant d'études expérimentales de décomposition thermique des carbonates sidéritique en vertu d'un ensemble de scénarios plausibles de chauffage d'origine géologique. »
Mais le problème qui se pose avec ces scénarios abiotiques est que seul le composant sidérique mélangé aux carbonate ait été décomposé, à l'exclusion complète des composants de magnésite-calcite pourtant voisins. En outre, il existe diverses incompatibilités entre ces mécanismes et la composition chimique de zones carbonatées: deux ensembles d'observations expérimentales montrent qu'une partie importante des magnétites de ALH ne peuvent avoir été formées par les 2 mécanismes envisagés:
–
Les magnétites encastrées
dans les couches de magnésite séparent des bandes interne
et externe riches de magnétite. Les carbonates de la
magnésite ne contenant pas de Fe, ils n'ont pu se
décomposer pour donner la magnétite
–
Une minorité des magnétites contiennent des impuretés, avec
des traces de Cr et/ou d'Al, qui ne peuvent avoir été
formées par décomposition des carbonates mais résultent
d'une origine détritique
Contrairement à ce que laissent entendre
les deux modèles (s'excluant mutuellement) de formation non
biologique des cristaux de magnétite, La majorité des
magnétites d'ALH est constitué de Fe3O4 chimiquement pur
encastré dans des carbonates de toutes les
compositions s'étendant des carbonates les plus riches
en Fe, à la limite des noyaux intérieurs et externes, à la
magnésite la plus exempte de Fe.
« Nous concluons que la grande majorité des
nanocristaux de magnétites présents dans les disques de
carbonate ne peuvent avoir été
formés par l'un des scénarios de décomposition thermique
actuellement proposé.
Au lieu de cela, nous trouvons des preuves
considérables en faveur d'une origine allochtone
alternative de la
magnétite indépendante de tout choc ou traitement thermique
des carbonates. »
Cette
conclusion importante (accueillie dans l'indifférence
générale) mérite d'ètre soulignée: je traduis ici la find e
la publication de l'équipe:
« Bien qu'il soit impossible
d'exclure que certaines magnétites incorporées dans les
carbonates d'ALH 84001 puissent avoir été produites par
décomposition thermique, nous affirmons que cela, au mieux,
ne peut concerner qu'une faible proportion de ces
dernières. En conséquence, cela ne doit pas distraire notre
attention de la compréhension es origiens de la majorité de
la magnétite restante qui apparaissent avoir été dérivées
d'une source détritique ou allochtone. Il n'existe aucune
données convaincantes montrant qu'elles proviennent des
carbonates. Bien que nous n'ayons pas essayé de présenter
un modèle d'origine détritique,des magnétites de ALH 84001,
nous avons souligné la présence de plusieurs éléments
correspondant à une exposition des carbonates à des fluides
aqueux après formation. Nous suggérons que la majorité des
magnétites d'ALH 84001 ont une origine allochtone et ont
été ajoutées au système des carbonates par une source
externe.
Cette origine n'exclut pas la
possibilité qu'une partie corresponde à une formation par
des processus biogéniques, comme proposé dans des études
précédentes ».
(While it is impossible to completely
discount that some of the magnetites embedded in ALH84001
carbonates might be a product of thermal decomposition, we
argue at best this can only account for a tiny portion.
Consequently, this should not divert our attention from
understanding the origin of the remaining majority of
magnetites that would appear to have been derived from a detrital or
allochthonous source (Table
11). There are no
convincing data showing that they originated from the
carbonate. Although we have not attempted to present a
detailed model for a detrital origin of ALH84001 magnetite,
we have highlighted the presence of many features
consistent with exposure of the carbonates to aqueous
fluids after formation.
We suggest that the majority of ALH84001
magnetites has an allochthonous origin and was added to the carbonate
system from an outside source. This origin does not exclude
the possibility that a fraction is consistent with
formation by biogenic processes, as proposed in previous
studies.)
Il
semble donc bien que cette météorite Martienne porte des
traces de vie. Mais cette vie a t'elle été Terrestre ou
Martienne ?
Au final, aucune certitude n'émerge pour
l'instant de l'examen détaillé de ces météorites. Il serait
d'autant plus difficile à obtenir que, des échanges de
matériel biologique ayant pu se produire entre les deux
planètes, les formes de vie primitives seraient similaires
pour Mars et la Terre, ce qui risque fort de faire passer
des micro-organismes 100 % martiens pour de bonnes vieilles
contaminations "made in Terre".
Seule une mission sur Mars avec prélèvement d'échantillons
profonds pourra lever le doute, pour peu que les conditions
de conservation des échantillons excluent réellement tout
risque de contamination! La recherche de micro-fossiles
dans les roches sédimentaires de la planète serait donc
bien plus probante.
A
noter: une publication
de la NASA (instruments and methods for astrobiology
and planetary missions XII) fait un point actuel (fin 2009) sur
ALH en tant que preuve d'une vie martienne passée.
Quelques références
1 - Search for past life on Mars: possible relic biogenetic activity in martian meteorite ALH84001
Origins of life & evolution of the Biosphere 27 (1-3), 263-289 - 1997 Jun
Mc Kay - Gibson - Thomas-Keprta - Vali - Romaneck - Clernett - Chillier - Maechling - Zare
NASA Lyndon B. Johnson Space Center, Houston, TX 77058 USA
Fresh fracture surfaces of the martian meteorite ALH84001 contain abundant polycyclic aromatic hydrocarbons (PAHs). These fresh fracture surfaces also display carbonate globules.
Contamination studies suggest that the PAHs are indigenous to the meteorite. High-resolutîon scanning and transmission electron microscopy study of surface textures and intemal structures of selected carbonate globules show that the globules contain fine -grained, secondary phases of single-domain magnetite and Fe-sulfides. The carbonate globules are similar texture and size to some terrestrial bacterially induced carbonate precipitates. Although inorganic formation is possible, formation of the globules by biogenic processes could explain many of the observed features, including the PAHs. The PAHs, the carbonate globules, and their associated secondary mineral phases and textures could thus be fossil remains of a past martian biota.
2 -Brearley A. J. (2003) Magnetite in ALH 84001: an origin by shockinduced thermal decomposition of iron carbonate.
Meteorit. Planet. Sci. 38, 849–870.
3
- Treiman A. H. (2003) Submicron magnetite grains and
carbon compounds in Martian meteorite ALH84001: inorganic,
abioticformation by shock and thermal metamorphism.
Astrobiology 3, 369–392.
4 - Origins of magnetite nanocrystals in Martian
meteorite ALH84001
K.L. Thomas-Keprta a,*, S.J. Clemett a,*, D.S. McKay b,
E.K. Gibson b, S.J. Wentworth a
Geochimica
et Cosmochimica Acta 73 (2009) 6631–6677