Les nanobes, une nouvelle forme de vie ?
Septembre
2001
À la fin du second millénaire, la majorité des biologistes
sont persuadés de connaître tous les types d’êtres vivants
qui peuplent la planète. En effet, comment des formes de
vies inconnues auraient-elles pu échapper à la sagacité des
observateurs et à la sophistication de leurs moyens
d’observations? Et pourtant, une découverte qui pourrait
s’avérer aussi fondamentale que la mise en évidence du
monde microbien par Pasteur vient en 1990 sonner le glas de
ces tranquilles certitudes, poser de nouvelles questions et
dégager de nouvelles possibilités.
Cette année là, le professeur Robert L. Folk, géologue de
l’université du Texas, observe au microscope électronique à
balayage d’étranges structures ovoïdes de très petite
taille dans des roches carbonatées précipitant dans des
sources thermales (1).
Au lieu de ne pas prêter attention à ces dernières, comme
nombre de ses collègues l’aurait fait, il les examine avec
attention. Les petites sphères qu’ils observent ont un
diamètre compris entre 30 et 200 nm et ont tendance, tout
comme les bactéries, à former des chaînettes. À cause de
cette ressemblance et en raison d’une taille dix fois
inférieures à ces dernières, il nomme ces objets
“nanobactéries” et propose de les interpréter comme étant
des formes de vies jusqu’alors inconnues. Par la suite,
Folk lui même ainsi que d’autres chercheurs
(2,
3)
vont identifier des nanobactéries dans d’autres roches plus
communes comme les argiles ou des silicates. Dans certains
échantillons rocheux, elles sont si nombreuses que Folk les
compare à “des haricots enfermés dans un filet” et selon
lui ces “êtres” pourraient bien constituer une part notable
de la biomasse de notre planète.
Cette découverte d’organismes inconnus, effectuée par des
géologues, n’est pas accueillie dans la joie par la
communauté scientifique, loin de là! À ce sujet, le
Professeur Folk rapporte que la “première présentation
orale de cette idée (l’existence des nanobes) ne provoqua
dans mon auditoire qu’un silence gêné...”
Nombreux sont en effet ceux pour qui les nanobes ne sont
qu’un artefact (4)
d’origine strictement minérale ou de simples débris
provenant de bactéries classiques, voire un simple résultat
de la méthode d’observation utilisé et ne sont donc qu’une
illusion. Leur principal argument concerne la taille des
nanobes: ils sont trop peu volumineux pour contenir la
machinerie biochimique complexe commune à tous les êtres
vivants connus, des bactéries aux baleines... Leur
biochimie serait donc largement différente de celle des
autres êtres vivants, ce qui remettrait en cause les
grandes lignes de l’évolution des organismes sur notre
planète.
Il devrait en effet exister une taille minimum pour un être
vivant: celle qui lui permet de contenir toutes les
molécules considérées comme étant indispensables à la vie
(acides nucléiques, ribosomes, enzymes...). Le problème,
c’est que si l’on calcule cette taille, le résultat obtenu
ne cadre même pas avec les connaissances récentes les mieux
établies: on obtient environ 200 nm pour les bactéries les
plus petites alors que les mycoplasmes, bactéries bien
connues responsables d’infections urinaires et
respiratoires, atteignent... 150 nm! Pire encore, des
microbiologistes pugnaces ont indubitablement mis en
évidence dans le sol et l’océan des
“ultra-microbactéries ” d’une taille voisine de 80 nm
seulement. Pour trouver son chemin, la vie a apparemment
besoin de beaucoup moins de bagages que nous ne le
supposions.
Malgré les objections réitérées, mais bien mal étayées, des
sceptiques de tout poil, des nanobes sont découverts en
quantité toujours plus grande dans des échantillons de
roche d’origine variée. Lorsque Mc Kay met en évidence sur
la météorite ALH 84001 des formations allongées qui
ressemblent fortement à des nanobes fossilisés, d’autres
chercheurs examinent des météorites connues et découvrent
des structures similaires non seulement dans les météorites
ALH (5),
mais aussi dans celles d'Allende, de Murchison
(6)
et de tataouine (7).
Seules trois explications sont alors possibles:
- les nanobes sont des artefacts d’origine minérale
- les nanobes sont des formes de vies terrestres ayant
contaminé les météorites
- les nanobes sont des formes de vies primitives, liées aux
minéraux, et répandues largement dans tout l'univers.
Un aspect reste alors à éclaircir: doit-on considérer les
nanobes comme des formes fossiles ou d’authentiques êtres
vivants, capables donc de se reproduire? Des éléments de
réponse étonnants vont venir, en 1998, de l’étude de grès
australiens recueillis lors de forages pétroliers off shore
à plus de 4000 m sous la surface océanique, soit à des
températures d'environ 150°C et des pressions de 2000
atmosphères (8).
Malgré le scepticisme et le silence écrasant de la
communauté scientifique, le statut biologique des nanobes
est alors établi par le Professeur P. Uwins, de
l’université du Queensland, qui démontre clairement que
“les nanobes
ne sont pas
des structures cristallines, minérales et sont composés de
carbone, d'oxygène et d'azote”. Mieux encore, après avoir
noté des similarités morphologiques entre les nanobes et
des champignons microscopiques dix fois plus grands,
l’équipe du Pr. Uwins montre que les nanobes sont capables
de se reproduire et contiennent probablement des acides
nucléiques.... Les organismes observés par cette équipe au
moyen d’un microscope à balayage extrêmement puissant (et
onéreux! il n’en existe que quelques unités dans le monde)
ont en effet la forme de fibrilles enchevêtrées, comme un
feutre, ce qui rappelle la forme d’un mycélium. Les
colonies de nanobes ont une vitesse de croissance
surprenante, et envahissent littéralement les milieux de
culture qui leur sont proposés (quand ils ne s’évadent
pas!), formant en quelques semaines des colonies denses de
filaments gris, bruns ou blanc. Les diverses morphologies
observées suggèrent même l’existence d’un cycle de
reproduction correspondant à celui des moisissures. Les
nanobes posséderaient alors une reproduction de type
sexuée, ce qui est considéré comme un caractère plutôt
évolué...
La résistance physique des nanobes semble extrême: observés
en microscopie électronique, les échantillons montrent
qu’ils conservent leur capacité à se développer malgré le
vide intense, les faisceaux d’électrons et les rayonnements
auxquels ils ont été soumis. Cette résistance pour le moins
inhabituelle est même utilisée par certains auteurs pour
leur dénier le statut d’être vivant (9).
Et pourtant...
Ultérieurement, l’équipe de recherche du Pr Uwins
confirmera la présence d’acides nucléiques contenus dans
l’équivalent d’un “noyau” lobé, enfermé dans une “membrane”
minéralisée extrêmement résistante qui rend l’étude des
nanobes très difficile. Actuellement, ces chercheurs
tentent de cultiver des nanobes afin d’obtenir une quantité
d’acides nucléiques (ADN ou molécule autoréplicative plus
simple?) suffisante pour permettre l’étude de sa
composition et de sa séquence. Il deviendra alors possible
de comparer le génome de ces organismes à ceux que nous
connaissons, ce qui permettra de faire des hypothèses sur
leur origine et nous donnera des indications sur leur
biochimie, qui pour l’heure nous est inconnue.
D’autres chercheurs se lancent sur la piste des nanobes sur
d’autres terrains et envisagent leur action au niveau de
processus de minéralisation ou d’oxydation des métaux.
Ainsi, Il se pourrait bien que des processus que nous avons
crus jusqu’ici de nature purement physique puissent
posséder une composante biologique qui nous serait restée
inconnue. Il en est ainsi, par exemple, pour l’oxydation du
fer pour laquelle une influence des nanobes, qui se
développent sur les échantillons de métaux en cours
d’oxydation, n’est pas à exclure. Des découvertes aussi
importantes ne sont pas si surprenantes: il y a seulement
quelques années que l’origine bactérienne de certains
ulcères a été admise, et ces derniers mois l’identification
de bactéries se reproduisant dans notre atmosphère et
pouvant être à l’origine de phénomènes de condensation tels
que la pluie nous confirme que notre connaissance de
l’univers bactérien et de ses interactions avec notre
planète (et les autres!) est très imparfaite ! De plus en
plus de microbiologistes en conviennent, et certains
réfléchissent même au mode de vie possible des nanobes.
Ainsi, le Dr J.G. Lawrence, de l’université de Pittsburgh,
avance l’idée de “métacellule”: les nanobes ne seraient pas
individuellement vivants, mais constitueraient un organisme
coopératif, un génome distribué en réseau (le terme est à
la mode!).
Il faut cependant rester prudent: l’étude des nanobes est
ardue à cause de leur taille, et il est fort possible que
des erreurs soient involontairement commises au cours de
leur mise en évidence, qui reste délicate. Ainsi en est-il
de l’implication des nanobes dans des pathologies humaine:
ils ont été identifiés au niveau des calculs rénaux
(10),
des plaques athéromateuses (11),
dans le sang (12)
et, probablement, de la plaque dentaire. Cependant, leur
étude et leur identification difficile sont à l'origine
d'une polémique (13)
dans laquelle certains résultats apparaissent comme
provenant d’erreurs alors que d’autres sont bel et bien
confirmés. Des nanobes semblent bien présents dans le corps
humain, mais leurs rôles éventuels restent à découvrir. Les
résultats les plus sérieux, obtenus par des équipes variées
(14,15,16,17)
tendent cependant à montrer que les nanobactéries sont au
moins impliqués dans la formation des calculs rénaux :
elles provoqueraient la formation de cristaux de phosphate
de calcium (apatite) autour desquels les calculs se
développeraient ensuite. D’autres résultats sont plus
discutables, car ils utilisent comme “révélateur” de la
présence de certains nanobes un acide nucléique ribosomal
qui ressemble comme un frère à celui d’une bactérie très
répandue, et dont l’origine est alors sujette à caution!
D’autres observations sur des cultures de tissu ont montré
que certains nanobes peuvent se révéler toxiques pour des
cellules animales, et que leur croissance est inhibée par
certains antibiotiques (16),
ce qui confirme bien qu’il ne s’agit pas de cristaux!
En tout état de cause, il nous faut bien considérer que des
indices sérieux tendent à montrer qu’il existe tout autour
de nous des êtres vivants dont nous ignorons presque tout,
qui vivent principalement dans les roches, résistent aussi
bien au vide qu’à de fortes températures et pression et
sont donc parfaitement capable, à l’occasion, de voyager
d’une planète à l’autre. La découverte des nanobes ouvre
donc à la microbiologie et à l’exobiologie des horizons
jusqu’alors insoupçonnés.
Références
bibliographiques:
1-
Folk, R. L. Bacteria and nannobacteria revealed in
hardgrounds, calcite cements, native sulfur, sulfide
minerals, and travertines. Geological Society of America,
Abstracts with Programs, v. 24, 104. 1992
2
-
Pedone VA., Folk RL. Formation of aragonite cement by
nannobacteria in the great salt lake Utah. Geology 1996,
24, 763-765
3-
Vasconcelos C., Mc Kenzie J. Microbial mediation of modern
dolomite precipitation and diagenesis under anoxic
conditions (Lagoa Vermalha, Rio de Janeiro, Brazil).
Journal of sedimentary research 1997, 67, 378-390.
4
-
Harvey R.P. Nannobacteria: what is the evidence ? Natural
science 1, art.7, 1997
5
-
Folk, R. L., Lynch, F. L. Nannobacteria are alive on Earth
as well as Mars: Proceedings of the International Symposium
on Optical Science, Engineering, and Instrumentation
(SPIE), v. 3111, 406-419. 1997
6
-
Folk, R. L., Lynch, F. L. Mendenhall, J. Nannobacteria-like
carbon bodies in the Allende and Murchison carbonaceous
chondrite meteorites, with comparisons to Earth. Geological
Society of America Abstracts with Programs, v. 30, p.
A-290. 1998
7
-
Gillet Ph., Barrat J.A., Heulin Th., Achouak W., Lesourd
M., Guyot F. and Benzerara K. Bacteria in the Tatahouine
meteorite: nanometric-scale life in rocks.Earth and
Planetary Science Letters 155, 161-167, 2000
8
-
Uwins PJR, Webb RI, Taylor AP. Novel nano-organism from
australian sandstones. American mineralogist 83, 1998,
1541-1550
9
- ASM news 66, 4, april 2000
10
-
Kajander E O, Çiftçioglu N. Nanobacteria: An alternative
mechanism for pathogenic intra- and extracellular
calcification and stone formation. Proc. Natl. Acad. Sci.
USA 95, Issue 14, 82748279, July 7, 1998
11
-
Kajander E.O., Kuronen I., Ciftfioglu N. Fetal bovine
serum; discovery of nanobacteria. Molecular biology of the
cell 1996, suppl., 7, 517.
12
-
Ackerman KK., Kuronen I., Kajander EO. Scanning electron
microscopy of nanobacteria - novel biofilm producing
organisms in blood. Scanning, 1993, v. 15, suppl. III.
13
-
Cisar JO, Xu DQ, Thompson J, Swaim W, Hu L, Kopecko DJ. An
alternative interpretation of nanobacteria-induced
biomineralization. Proc Natl Acad Sci U S A 10/ 2000;
97(21):11511-5
14
-
Kajander EO, Ciftcioglu N, Miller-Hjelle MA, Hjelle JT.
Nanobacteria: controversial pathogens in nephrolithiasis
and polycystic kidney disease.
Curr Opin Nephrol Hypertens 2001 May;10 (3): 445-52
15 -
Lopez-Brea M, Selgas R. Nanobacteria as a cause of renal
diseases and vascular calcifying pathology in renal
patients ("endovascular lithiasis"). Inferm Infecc
Microbiol Clin. 2000 Dec;18 (10): 491-2.
16
- Hjelle JT, Miller-Hjelle MA, Poxton IR, Kajander EO,
Ciftcioglu N, Jones ML, Caughey RC, Brown R, Millikin PD,
Darras FS.
Endotoxin and nanobacteria in polycystic kidney disease.
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17
- Kramer G, Klingler HC, Steiner GE.
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