Évolution, involution, révolutions
De récentes découvertes mettent en lumière... notre ignorance !

Février 2002


Imaginez qu’un scientifique de renom vous déclare un beau jour qu’il a montré qu’en privant de nourriture un éléphant, celui-ci se transforme en palmier... Vous douteriez, avec raison, de sa santé mentale, et pourtant... Toutes proportions gardées, les résultats obtenus récemment par le Dr Robinson, fondateur de la société De-novo biologic (1), sont tout aussi incroyables, et pourraient annoncer une révision majeure de nos conceptions touchant, entre autres, à l’origine et à l’évolution de la vie.

L’évolution, un fait
L’étude de la biochimie des êtres vivants a confirmé, ces 50 dernières années, ce qu’avait permis de supposer l’ensemble des ressemblances morphologiques et anatomiques des différents groupes d’animaux et de végétaux, ainsi que les indications de la paléontologie: toutes les formes vivantes possèdent une biochimie comparable, basée sur des molécules similaires et sur un unique système de transmission de l’information d’une génération à une autre, le code génétique (2-3). Cela implique que toutes ces formes de vie dérivent non d’un ancêtre commun, comme on l’affirme souvent, mais d’un petit ensemble homogène d’organismes primitifs, peut-être réduit à un seul individu, peut-être pas.
L’existence même de l’évolution ne s’est imposée que très tardivement, devant une accumulation de preuves d’origine variées, et reste même encore combattue par un quarteron de religieux irréductibles dont la volonté de croire obère l’esprit critique. Rappelons quelques arguments démontrant la réalité du processus évolutif:
• Les séquences historiques décrites par les différents fossiles montrent une succession des formes vivantes avec des intermédiaires entre les différents groupes, comme par exemple l’animal fossile ychtyostega qui présentait, il y a 380 millions d’années, à la fois des caractères de poisson (crâne, queue) et d’amphibien (membres).
• Les similitudes anatomiques entre animaux actuels, retrouvées à tous les niveaux anatomiques, cellulaires et moléculaires (4).
• Les observations qui montrent, sur quelques années, une “microévolution ” en réponse aux modifications du milieu (5).
• La façon dont se forment les embryons, par superpositions successives de plans d’organisation différents. Cette observation avait été faite au 19e siècle tout d’abord par Baer, puis fortement exagérée par Haeckel en 1866 avec sa “biogenetischen grundregel” (“l’ontogenèse récapitule la phylogenèse”) qui traîne encore dans de nombreux ouvrages en dépit de sa fausseté et des “exagérations volontaires”, pour ne pas dire plus, de son auteur (6).

Cependant, au-delà de ce cadre très général, des problèmes commencèrent à se poser lorsque, il y a une vingtaine d’années, les généticiens comparèrent leurs reconstitutions de l’histoire de l’évolution, basée sur la vitesse de modification des gènes dans les générations successives, avec celle obtenue par les anatomistes et les paléontologues: de multiples points de désaccord sont rapidement apparus, et il est alors devenu évident que l’on avait souvent pris pour une relation évolutive une simple ressemblance entre deux organes effectuant la même fonction, et donc soumis aux mêmes contraintes du milieu. L’histoire de l’évolution fut alors réécrite, avec de nombreuses modifications (7) mais le consensus actuel sur le déroulement de l’histoire recouvre en fait une étonnante pauvreté conceptuelle au niveau des mécanismes pouvant expliciter cette évolution des organismes.

L’évolution, une théorie incomplète
La théorie synthétique de l’évolution est la seule théorie générale qui structure complètement la biologie contemporaine, c’est dire son importance. Pourtant, les mécanismes de l’évolution sont encore très largement inconnus. Cela n’a rien d’étonnant dans la mesure ou ce concept, au sens où nous l’entendons, est un ensemble remontant seulement au milieu du 19e siècle. Encore encore faut-il avoir le courage de le reconnaître!
Les mécanismes connus de l’évolution, définie comme un ensemble de modifications génétiques permettant l’exploitation optimale d’un milieu, sont au nombre de trois seulement (8) :
- La sélection naturelle, pour laquelle l’influence du milieu est prépondérante: ce dernier sélectionne les organismes capables de se reproduire par rapport à leurs compétiteurs. Ce mécanisme extrêmement puissant est également actif à l’échelon moléculaire, et a du jouer un grand rôle dans l’organisation des molécules à l’origine de la vie.
- Les mutations qui, se produisant au hasard, modifient le matériel génétique, faisant ainsi varier les caractères des individus
- Le mélange (recombinaison) des gènes permis soit par la reproduction sexuée soit par les échanges directs de gènes chez les bactéries. On doit rajouter à ces mécanismes les possibles transferts de gènes réalisés par des virus, d’une importance probablement insoupçonnée, qui s’intègrent au patrimoine génétique d’autres organismes.

Ces 3 mécanismes sont avérés, bien étudiés... et leur importance relative âprement discutée: aux “gradualistes” tenant de mutations constantes et accordant la plus grande importance à la sélection naturelle s’opposent les “ponctualistes” pour lesquels les processus cités ne sont pas suffisants pour expliquer les phénomènes constatés. Pour ces derniers, après de longues périodes de stabilité génétique, des mutations se produiraient au niveau des gènes qui organisent la forme du corps, constituant ainsi une “révolution génétique”. L’existence et l’origine de cette révolution éventuelle sont encore à définir...
En fait, si les spécialistes de l’évolution expliquent assez bien l’apparition des différentes espèces (9), l’évolution des différents plans d’organisation des êtres vivants (les grandes subdivisions des organismes comme les insectes, les différents vertébrés...) et le passage de l’un à l’autre demeurent encore un mystère complet. Pour illustrer cela, notons que seuls 8 % d’un ouvrage récent (5), excellent au demeurant, sont consacré à ces problèmes de “macro-évolution”. L’auteur, Professeur à Oxford, confesse qu’il faut, à ce propos “reconnaître les lacunes de notre savoir et continuer les recherches”. Voici une lucidité que l’on aimerait voir plus souvent chez certains scientifiques!

Des conceptions classiques aux bases fragiles
Parmi les 3 mécanismes connus de l’évolution, deux sont soumis à un ensemble de critiques auquel on ne peut pas rester sourd:

- Alors que les modifications des organismes, matière première de la sélection naturelle, sont causées par les mutations, le professeur Motoo Kimura, généticien japonais de renom, a montré il y a quelques années que la plupart des mutations, loin de modifier les caractères de l’individu, n’exercent en fait aucune influence sur les capacités des organismes vis-à-vis de la sélection naturelle! Elles sont “neutres” (10). Cette découverte allait amener les évolutionnistes à donner plus d’importance à des facteurs aléatoires, ce qui a été confirmé depuis par de nombreux modèles informatiques: le hasard faisait ainsi une entrée discrète dans la génétique des populations. Cette importance croissante du hasard en biologie, loin de montrer simplement notre méconnaissance des phénomènes, semble bien être une composante fondamentale et trop souvent mésestimée du fonctionnement du vivant.

- La reproduction sexuée est certes un accélérateur de l’évolution, mais elle n’est pas indispensable à cette dernière! Récemment, l’étude d’un groupe de rotifères (invertébrés marins) a révélé que dans cette espèce, il n’y a plus de mâles depuis...10 millions d’années au bas mot! (11). Ce cas unique, qualifié par certains de “scandale évolutif” (12) nous montre qu’une évolution est possible chez des animaux pluricellulaires par d’autres voies que la reproduction!
Ces deux exemples illustrent les problèmes auxquels doivent faire face les théoriciens de l’évolution, qui partagent avec les paléontologues une difficulté majeure, celle de ne pas pouvoir à priori tester la validité de leurs conceptions par des expériences... Ce qui n’empêche pas quelques scientifiques hardis d’essayer de reconstituer in vitro les étapes majeures de l’évolution, quitte à bousculer l’ordre des choses...

Des remises en question majeures

Il semble établit pour tous les biologistes que, dans l’histoire de la vie, les bactéries, organismes formés de petites cellules sans noyau ni compartiments internes, ont précédés de plusieurs milliards d’années les cellules dites eucaryotes, divisées en compartiments, qui nous constituent. A l’appui de cette thèse, l’ordre des traces fossiles retrouvées ainsi que le fait que les cellules eucaryotes contiennent certains éléments d’origine bactérienne. Ces éléments, fournissant leur énergie aux cellules, proviendraient de bactéries englobées par les ancêtres des eucaryotes et utilisées depuis dans toutes les cellules (13). Cette vision se voit cependant contestée tout d’abord par les spécialistes de la biologie moléculaire s’attachant à rechercher les sources de la vie: ils constatent avec surprise que le fossé entre bactéries et eucaryotes est si profond, les différences si grandes qu’il n’est sans doute pas possible que ces deux types d’êtres vivants ait un seul et même ancêtre! Ils vont là à contre-courant de l’opinion dominante qui voudrait qu’une seule forme de vie soit à l’origine de toutes les autres.

Un deuxième point d’achoppement vient des généticiens qui reconstituent l’histoire du génome bactérien: si l’on en croit les résultats de leurs calculs, l’origine de ce génome remonterait à une date supérieure... à la formation de la Terre!
La plupart des scientifiques académiques (ceux qui cherchent pour ne rien trouver, et ils sont nombreux!) balayeraient ces objections en arguant de l’effet du temps sur la sélection naturelle des organismes et de l’imprécision des “horloges moléculaires” des généticiens. Il est beaucoup plus difficile de réfuter les arguments du Dr Douglas H. Robinson. Ce scientifique, ancien chercheur dans les services de la marine américaine (au Naval Medical Research Institute, à Bethesda), a fondé une société se proposant de produire simplement différentes molécules pour l’industrie. Il a apparemment du mal à publier ses découvertes, pourtant fondamentales. Qu’a donc réalisé ce “paria” de la science ?

Dans le cadre de ses recherches dans la marine, il a travaillé sur les problèmes liés à l’utilisation des différents mélanges respiratoires au cours de plongées profondes . Spécialiste des cellules endothéliales (14), qui constituent les vaisseaux sanguins, il s’est intéressé à leurs réactions vis-à-vis de l’oxygène (15), lequel peut en trop grande quantité se révéler un puissant toxique poussant les cellules au suicide (elles s’autodétruisent au cours d’un processus, l’apoptose, dans lequel elles se fragmentent en petites vésicules). Ces effets délétères de l’oxygène lui ont probablement donné l’idée d’utiliser ce gaz pour provoquer des réactions cellulaires pouvant aboutir à la formation de vésicules contenant des morceaux d’ADN cellulaire, et donc susceptible de fournir facilement un moyen d’isoler des gènes. Il allait aboutir, en mettant au point cette technique, à des conclusions bien plus hardies.
Robinson a donc soumis une culture de cellules endothéliales humaines infectées par un rétrovirus à un stress respiratoire important, faisant se succéder des périodes où les cellules avaient à leur disposition de l’oxygène ou n’en disposaient pas. Au bout de deux semaines, il a été possible d’isoler à partir de cette culture de cellules 11 types différents de corps bactériens typiques, ressemblant beaucoup à ceux connus par ailleurs dans notre environnement, voire déjà isolés du corps humain dans certaines pathologies (16)!

La première idée qui vient à l’esprit est celle d’une contamination des cultures. Cette possibilité semble cependant exclue à cause des précautions prises lors de cette expérience, qui ont été confirmées par une étude indépendante. Robinson à donc réussi une expérience d’évolution dirigée par les variations du milieu, montrant que certaines cellules eucaryotes humaines peuvent, en situation de stress respiratoire, “fabriquer” des bactéries ! On savait déjà que certains virus restaient tapis dans notre génome, s’exprimant de temps à autre, mais personne n’avait jamais mis en évidence un tel comportement pour des bactéries!
Les bactéries isolées par Robinson sont similaires à celles observées il y a bien longtemps, dans les années 20, au niveau de tumeurs cancéreuses. A cette époque, beaucoup de chercheurs pensaient que cette maladie avait une origine bactérienne. Bien que des découvertes ultérieures sur la formation des métastases aient réorienté cette recherche, de nombreux chercheurs (17,18,19) isolèrent de drôles de bactéries à partir de tumeurs animales et humaines. Il faut néanmoins se monter extrêmement circonspect lorsque l’on aborde des travaux réalisés il y a si longtemps: les conditions expérimentales, les procédés d’extraction et de purification des produits d’origine animale étaient loin de posséder l’efficacité des méthodes actuelles, aussi ne doit-on souvent considérer ces anciens travaux que comme des indices probants plutôt que des certitudes.
Cependant, un demi-siècle plus tard, certains chercheurs (20) essayèrent de fabriquer un vaccin anticancéreux à partir de ces étranges bactéries, dont certaines avaient la capacité de déclencher un sarcome (cancer) chez la souris. Ils enregistrèrent quelques résultats positifs chez cet animal (21). Ces bactéries “oubliées” semblent ne pas posséder de “capsule” qui en délimite la forme, et elles ont été regroupées en 1974 (22) sous le terme générique de bactéries CWD (cell wall deficient). Elles présentent des caractéristiques exceptionnelles: leur forme varie en culture, où elles peuvent prendre l’aspect de coques (sphérules), de bacilles (bâtonnets), mobiles ou non, voire mimer le comportement de champignons microscopiques, avec production coopérative de “sac à spores”... Ajoutons également que ces micro-organismes peu conventionnels sont capables de traverser certains filtres microperforés arrêtant la plupart des bactéries communes, signalant ainsi la possibilité d’une forme supplémentaire de taille extrêmement réduite, de type mycoplasme... Ces bactéries seraient sans doute demeurées dans le “placard” de la recherche si elles n’avaient pas refait surface, avec d’autres, dans le sang et l’urine des malades du SIDA (23). L’ensemble de ces bactéries fut alors rebaptisé du doux nom de VLIA (Virus Like Infectious Agents - en biologie, on aime bien nommer ce que l’on ne connaît pas, cela permet d’apprivoiser l’inconnu!), et toutes montrent également une tendance à adopter différentes formes... Tout comme les 26 souches de bactéries déjà isolées en 1941 par Mazet à partir de malades souffrant de la maladie de Hodgkin* (24)! Ces bactéries se révélant difficiles à isoler et à cultiver, et surtout la microbiologie fondamentale étant passée de mode, la “communauté scientifique” leur accorda un intérêt poli... Et voilà que 10 ans après les derniers travaux, ce diable de Robinson ressuscite ces micro-organismes peu conventionnels, et confirme même sa découverte proprement incroyable par l‘analyse des gènes des différentes bactéries qu’il a obtenues: plusieurs séquences de l’organisme appelé par Robinson “procaryote W” sont similaires à plus de 85 % à celles présentes dans les chromosomes humains X, 11 et 21.

De semblables similarités se retrouvent pour des séquences dispersées sur 19 chromosomes humains, confirmant ainsi l’origine “humaine” des bactéries observées. On pourrait penser qu’il ne s’agit là que d’homologies liées à des gènes présents chez tous les êtres vivants, mais les bactéries obtenues expriment des molécules d’origine typiquement eucaryote. Les mêmes phénomènes ont été constatés avec des cellules d’origine murine et porcine, ainsi qu’avec des lignées cellulaires tumorales. D’autres séquences retrouvées chez les bactéries obtenues, auparavant considérées comme non codantes, ont pu être reliées à des séquences correspondantes à des protéines produites par des végétaux ou des champignons. Ces découvertes sont à rapprocher de l’identification récente chez certaines bactéries de molécules que l’on pensait caractéristiques des cellules eucaryotes (25).

Les conséquences des travaux de Robinson, si ces derniers sont confirmés (ce qui demanderait un intérêt minimum de la part de la communauté scientifique...) sont énormes:
- au plan évolutif, il apparaît que l’on ne peut séparer aisément procaryotes et eucaryotes. Il se confirme que l’on doit considérer les bactéries comme des formes de vie extrêmement évoluées, débarrassées de tout l’encombrant appareil membranaire interne des eucaryotes, ce qui les rend extrêmement performantes. Si les eucaryotes sont les ancêtres des procaryotes, ce qui est sérieusement envisageable (26-27) alors l’origine de ces cellules complexes recule dans le temps, ce qui nous place devant le paradoxe suivant: la vie est apparue à l’époque où notre planète n’était pas en mesure de la recevoir.... Il en résulte donc que son origine est probablement non entièrement terrestre! Se pose aussi le problème du statut biologique des virus et des rétrovirus, qui semblent bien jouer un rôle insoupçonné dans l'évolution du génome des organismes.

- au plan médical, la possibilité (théorique pour le moment) de voir des bactéries surgir de l’intérieur de l’organisme quand ce dernier est soumis à un stress (c’est à dire à des agressions répétées au niveau cellulaire, ne pas confondre avec le sens commun de ce mot!) ouvre une voie nouvelle à la recherche des causes de certaines affections, qui en l’absence de toute contamination bactérienne externe pourraient prendre naissance à l’intérieur même de nos cellules! Ce procédé était connu pour certaines infections virales et transformations cancéreuses, mais l’envisager pour des bactéries inconnues ouvre un champ de recherche encore vierge à ce jour, pouvant utilement amener à réviser nombre de conceptions classiques sur les infections à rétrovirus ainsi que l’origine des processus de cancérisation.

Les mécanismes de l’évolution sont donc bien plus complexes que nous ne l’avions envisagé, et les secrets de l’origine de la vie semblent dessiner les contours d’un monde où le vivant devient une matière plastique, mouvante, décrivant dans le temps des arabesques complexes dont nous ne sommes qu’un point...

Aux sources de la vie n’y a t’il qu’un élan
un même vent soufflant sans faiblir jusqu'à l’Homme ?
Ou bien le devenir joue t’ il avec les êtres
comme une brise folle avec des fleurs fanées ? J.Y. Cousteau

R.Raynal
Professeur
Dr .de l’université de Toulouse


Bibliographie

1 - Robinson DH. An oxygen-related bioprocess drives eucaryote-to-procaryote genome evolution and speciation. De novo biologic 2001 - www.denovobio.com
2 - Mayr E. L’évolution. Bib. Pour La Science; ed Belin, 1980 6-16
3 - Rhodes FTH. La vie et son évolution, ed. voici, 1962
4 - Dickerson R. Le cytochrome C et l’évolution du métabolisme. Bib. Pour La Science; ed Belin, 1980, 154-166
5 - Ridley M. L’évolution - coll. sciences d’avenir, ed. Belin, 1997
6 - Richardson M. Une fraude en embryologie. Pour la science 247, mai 1998 10-12
7 - Lecointre G, Le Guyader H. Classification phylogénétique des êtres vivants. ed. Belin, 2000
8 - Wehner R., Gehring W. Biologie et physiologie animale, 1999, ed. de Boeck université
9 - Stiassny M, Meyer A. La naissance des espèces. Pour la Science 258, 04/1999, 70-75
10 - Kimura M. La théorie neutraliste de l’évolution moléculaire. Bib. Pour La Science; ed Belin, 1980, 132-140
11 - Welch D.M., Meselson M. Evidence for the evolution of Bdelloid Rotifers without sexual reproduction or genetic exchange. Science 288, 19/05/2000 1211- 1214
12 - Maynard Smith J. Nature 324, 1986, 300
13 - Gould S.J. L'évolution de la vie sur la Terre - Pour la science 206, 12/1994, 90-100
14 - Davis TA, Robinson DH, Lee KP, Kessler SW. Porcine brain microvascular endothelial cells support the in vitro expansion of human primitive hematopoietic bone marrow progenitor cells with a high replating potential: requirement for cell-to-cell interactions and colony-stimulating factors. Blood 1995 Apr 1;85(7):1751-61
15 - Forrest VJ, Kang YH, McClain DE, Robinson DH, Ramakrishnan N. Oxidative stress-induced apoptosis prevented by Trolox. Free Radic Biol Med 1994 Jun;16(6):675-84
16 - Robinson - United State Patent 6022730 du 8/02/2000
17 - Young. British medical journal 1, 60, 1925
18 - Glover & al. Canada Lancet Practice 66, 49, 1926
19 - Stearns & al., J. Bacterial 18, 227, 1929
20 - Diller IC, Donnelly AJ. Experiments with mammalian tumor isolates. Ann. N Y Acad Sci.174(2):655-74,1970.
21 - Seibert FB, Davis RL. J. Delay in tumor development induced with a bacterial vaccine. J. Reticuloendothelial Soc. 21(4), 279-282, 1977
22 - Mattman. Cell wall deficient microorganisms. CRC press, Philadelphie, 1974
23 - Lo SC, Wang RY, Newton PB 3rd, Yang NY, Sonoda MA, Shih JW. Fatal infection of silvered leaf monkeys with a virus-like infectious agent (VLIA) derived from a patient with AIDS. American J Trop Med Hyg. 40(4), 399-409, 1989
24 - Mazet, Montpelier Med. 316, 1941 et cancers et parasitisme latent, Mars Med; 103(3):171-182, 1966.

25 - King N, Carroll S. B. A receptor tyrosine kinase from choanoflagellates: Molecular insights into early animal evolution. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, Vol. 98, 26, 15032-15037, 18/12/ 2001
26 - Poole A.M., Jeffares DC, Jefferes P.D. The path from the RNA world. J.Mol.Evol. 46, 1998, 1-17
27 - Philippe H, Forterre P. The rooting of the universal tree of life is not reliable. J.Mol.Evol. 49, 1999, 496-508
28 - Doolittle W.F. Phylogenetic classification and the universal tree. Science 284, 1999, 2124-2149


*
Maladie de Hodgkin (où lymphogranulomatose maligne): cette forme de cancer touche certaines cellules des ganglions lymphatiques (où sont situées les cellules qui “défendent” notre corps). Ces cellules se multiplient dans les ganglions, qui grossissent, puis touche la rate, qui gonfle, avant de se propager au foie, au poumon et au système nerveux. Son origine est inconnue à ce jour...

L’ADN, cet inconnu


Le matériel génétique des eucaryotes (organismes constitués de cellules à compartiments internes : la paramécie qui s’agitait sous votre microscope au collège, votre géranium, vous même...) contient de nombreuses séquences d’origine virale et bactérienne. En fait, notre ADN tant vanté ressemble à une infâme bricolage d’amateur contenant des séquences sans intérêt connu, des morceaux de virus, de bactérie, des recopiages successifs d’un même gène, des gènes typiques, des gènes baladeurs, coupés en morceaux.... Ce qui nous est souvent décrit comme un grand livre qu’il suffirait de lire pour connaître les arcanes du vivant n’est en fait qu’un infâme gribouillage ou chaque génération d’être vivant, au cours de l’histoire de la vie, a laissé sa marque: notre ADN contient donc aussi une véritable succession de graffitis génétiques d’origines diverses, variées, voire inconnues (28).

De l’interprétation délicate des travaux anciens

Dans son brevet original, Robinson cite des travaux remontant aux années 20. Il est toujours difficile d’utiliser aujourd'hui de telles publications, car bien souvent nous analysons les travaux des chercheurs de l’époque à travers le prisme déformant de plusieurs dizaines d’années de découvertes et d’évolution non seulement des connaissances, mais aussi de l’attitude scientifique.
Quelques exemples suffisent à monter l’acuité de cette difficulté, qui peut nous entraîner facilement à faire dire aux travaux de scientifiques illustres ou oubliés bien plus que ce que leurs auteurs voulaient en tirer.
Ainsi en est-il, par exemple, des découvertes d’Antoine Béchamp, à la fin du 19e siècle. En pleine controverse sur les micro-organismes, ce scientifique montre avant Pasteur que certaines maladies des vers à soie sont d’origine bactérienne. Plus tard, il s’oppose à ce dernier au sujet de la fermentation: alors que pasteur la tient pour réalisable uniquement par des micro-organismes, Béchamp la réalise expérimentalement à partir de débris minéraux provenant de dépôts recueillis dans des cuves à fermentation. Il nomme microzymes les corps susceptibles de réaliser cette fermentation. Béchamp a été, à l’époque, peu écouté et parfois ridiculisé. Avec le recul nécessaire et les connaissances modernes, il apparaît comme un précurseur dans la mise en évidence des enzymes: il est probable que Béchamp ait observé le premier l’activité de complexes enzymatiques adsorbés sur des débris minéraux: des débris acellulaires pouvaient donc fort bien avoir une activité enzymatique fermentative, mimant ainsi une caractéristique tenue, à l’époque, pour être le propre des seuls êtres vivants. Au début du 19éme siècle, Berzélius avait lui aussi découvert un mécanisme basé sur des catalyseurs pour expliquer les fermentations, mais qui s’en souvenait à l’époque? Béchamp interpréta sa découverte selon les connaissances de son temps, et proposa que les organismes vivants produisent des “ferments” ou des “zymases” différentes. Il prédit que ces structures mal définies pouvaient sortir des micro-organismes, et se retrouver dans nombre de liquides physiologiques. Il proposa que les bactéries puissent prendre plusieurs formes, se révélant polymorphes: avait-il observé, avant tout le monde, des souches de type “CWD” ? Il proposa aussi, en avance sur son temps, cette expression prophétique: “il n’y a qu’une chimie”. C’était en cela le précurseur ignoré de l’enzymologie moderne, comme nous pouvons le savoir aujourd’hui, mais comment aurions nous réagi à l’époque, alors que l’on accordait une “toute-puissance ” aux êtres vivants microscopiques sans songer que c’était à l’intérieur d’eux même que se cachaient les secrets de leur action? Ainsi, malgré que Wohler ait réussi en 1828 la synthèse de l’urée, molécule que l’on croyait produite uniquement par les êtres vivants, Pasteur n’admettait pas que des réactions chimiques puissent expliquer l’action des êtres vivants: nous savons maintenant qu’il était dans l’erreur, et que les observations et les réserves de Béchamp étaient justifiées. Si ce dernier était un précurseur incompris (il fallut attendre les travaux de Büchner pour mettre en évidence les enzymes), d’autres chercheurs interprétèrent, en toute bonne foie, de façon erronée leurs expériences. Ainsi en est-il de Jules Tissot, un spécialiste de l’étude des tissus vivant au microscope (nous dirions maintenant un histologiste). A son époque (1920), la constitution interne de la cellule restait à découvrir, le microscope optique ne permettant pas, en fait, son étude. Nombreux étaient les scientifiques (Masson, Golgi...) qui mettaient au point de savants mélanges de colorants et de décolorations pour mettre en évidence les éléments internes de la cellule (toujours très petits et difficilement visibles, leur étude ne débutant réellement qu’avec la généralisation de la microscopie électronique, après guerre). Tissot observe, au moyen de ses colorations, des constituants intracellulaires “en forme d’haltères”. Comme ces constituants perdurent après la mort des cellules, il y voit des formes de vies élémentaires; constituant les cellules. Ce point de vue était parfaitement défendable dans les années 30, il est même possible que Tissot, par ses observations minutieuses, ait mit en évidence des organites comme les mitochondries, ou des fibres de collagène, ou même des bactéries intracellulaires comme les mycoplasmes, d’allure changeante, et susceptibles d’expliquer les phénomènes qu’il a observé. Tissot interpréta ses observations selon les connaissances de son temps, et même si les conclusions qu’il en tira s’avèrent aujourd’hui erronées, on ne peut nier les phénomènes qu’il a observés d’un simple trait de plume: si nous ne pouvons accepter les conclusions, nous nous devons de valider et d’expliciter ses observations au moyen de nos connaissances actuelles, tout en gardant à l’esprit le fait qu’il ait pu observer, de façon fortuite, des phénomènes exceptionnels et peu reproductibles.

Tous ces scientifiques ont eu en commun l’honnêteté intellectuelle de se baser uniquement sur leurs observations et leurs expériences pour proposer de nouvelles idées. Le fait qu’ils furent incompris, parfois dans l’erreur, parfois précurseurs, n’enlève rien à leur contribution à l’édification des connaissances, processus qui se nourrit de davantage d’erreurs que de certitudes! Chacun, à sa manière, n’a pas hésité à s’opposer aux conceptions dominantes de son temps, permettant ainsi d’utiles débats et ouvrant parfois des voies nouvelles, qui n’ont été explorées que bien plus tard, alors que leurs noms mêmes étaient oubliés... Les chercheurs actuels, souvent peu au fait de l’histoire de leur discipline, se doivent de s’interroger et de se demander, au-delà de la moquerie qui est la réaction des médiocres: “qu’ont-ils vu? Pourquoi en ont-ils déduit cela ? Que peut-on en penser aujourd’hui ?” Car c’est ainsi que se bâtit, sur ses fondations instables et constamment renouvelées, l’édifice du savoir.