Reconstruire l’Homme ?
Les récentes découvertes concernant les cellules souches
ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques

Septembre 2001


Récemment, l’actualité a mis en lumière les cellules souches issues d’embryons humains, dont plusieurs équipes ont souligné l’intérêt. En effet, le Président Bush, avec le soutien de personnalités ultras conservatrices, est dernièrement revenu sur sa décision de ne pas affecter de crédits fédéraux à des recherches utilisant des embryons humains comme source de cellules souches. Quelles sont donc les caractéristiques des cellules qui ont motivé un tel revirement ?

Les cellules souches bâtissent l’organisme
Le corps humain contient environ une centaine de types cellulaires différents. La plupart de ces cellules restent spécialisées et ne sont pas capables de donner par évolution des types cellulaires différents: une cellule musculaire ne donnera, au mieux, que des cellules musculaires. Les chercheurs ont longtemps pensé que certains types cellulaires, comme les cellules nerveuses, étaient d'ailleurs incapables de se reproduire. Cependant, chaque individu provient d’une unique cellule, résultant de la fusion entre un spermatozoïde et un ovule. Cette première cellule donnera toutes celles de l’organisme, elle est dite totipotente. Lorsque l’embryon se développe, certaines cellules donneront des types cellulaires variés: ce sont aussi des cellules souches. Ainsi, les cellules sanguines et celles qui forment les vaisseaux ont une origine commune. Même chez l’adulte, il existe certaines cellules capables d’évoluer et de se différencier pour donner plusieurs types cellulaires: ce sont également des cellules souches, mais leurs potentialités ne sont pas toutes identiques.

Il existe plusieurs types de cellules souches
Toutes les cellules souches ne sont pas équivalentes. On doit distinguer:
• les cellules souches embryonnaires capables de donner n'importe quels types de cellules (musculaires, nerveuses...). Depuis 1998, il est possible de cultiver des cellules souches embryonnaires humaines en laboratoire. Cependant, pour se les procurer au départ, il est nécessaire de disposer d’un embryon humain en tout début de développement.
• les cellules souches “de régénération”, qui peuvent donner un ou plusieurs types cellulaires différents. Présentes dans l’organisme adulte, ces cellules sont impliquées dans les processus de renouvellement et de cicatrisation. On en trouve par exemple au niveau du tube digestif, à la base de la peau et dans la moelle osseuse où sont situées les cellules qui donneront tous les différents types de cellules sanguines (hématies, plaquettes, leucocytes)
• les cellules souches des tissus adultes. Découvertes ces dernières années, il s’agit de cellules “dormantes” que l’on trouve dans une grande variété d’organes. Il est même possible qu’en définitive chaque tissu de l’organisme contienne un pool de cellules souches jusqu’ici insoupçonné. Le gros intérêt de ces cellules est de posséder la même “identité génétique” que l’adulte. Si elles pouvaient être cultivées et réinjectées à l’individu, celui-ci ne présenterait aucune réaction de rejet.
Ces deux derniers types de cellules souches sont dites multipotentes car elles ne peuvent donner qu’un éventail plus ou moins large de cellules différenciées, et non toutes celles présentes dans un organisme.

Intérêt des cellules souches
Les cellules souches permettraient d’obtenir des cellules différenciées aptes à remplacer les cellules détruites au cours de maladies diverses. Leur intérêt thérapeutique potentiel est donc considérable, et pourrait révolutionner notre rapport au vivant. Des maladies qui mettent en jeu des destructions cellulaires sont légion: les infarctus, les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson...), le diabète insulinodépendant, l’athérosclérose, l’arthrite, les brûlures...
Prenons un exemple: au cours d’un infarctus, une petite région du muscle cardiaque meurt faute d’oxygène. Ces cellules mortes seront remplacées par d’autres cellules et des fibres, mais ces “remplaçants” ne font qu’occuper le terrain et sont incapables de se contracter comme les cellules musculaires cardiaques originelles. Il en résulte une diminution de la résistance du muscle cardiaque. Avec des cellules souches, on pourrait compenser la perte de cellules cardiaques par la différenciation et l’intégration au cœur de nouvelles cellules musculaires contractiles. Malgré son infarctus, la capacité cardiaque originelle pourrait être rétablie. Les cellules souches permettraient donc réellement de régénérer des organes abîmés par la maladie ou les manifestations de la vieillesse.

Comment utiliser les cellules souches ?
Pour réparer les organes endommagés, il faut être capable de commander la différenciation des cellules souches pour obtenir les types cellulaires désirés. Cela n’est pas encore possible, car le processus de différenciation des cellules est imparfaitement connu et met en jeu, entre autres, des facteurs provenant de leur environnement. Ainsi, des cellules souches de souris en culture ne forment que peu de cellules différentes alors que, dans l’embryon, elles donnent beaucoup plus de types cellulaires différents. Cette influence mal connue du tissu récepteur est aussi illustrée par le fait que si des cellules souches injectées dans le cerveau de souris se différencient bien en neurones, ce résultat est aussi obtenu si on les injecte au niveau du... rein!
Cependant, les chercheurs explorent petit à petit les voies permettant de commander la différenciation des cellules. Toujours chez la souris, certaines équipes de recherche sont parvenues à orienter la différenciation des cellules souches vers la production de neurones. D’autres cellules souches se différencient spontanément, et l’on peut alors sélectionner les cellules obtenues.
Cependant, il faut bien garder présent à l’esprit que l’injection de cellules souches constitue une greffe, et qu’il faudra nécessairement tenir compte des inévitables réactions de rejet engendrées par des cellules plus ou moins compatibles avec l’organisme du malade receveur.

Où trouver des cellules souches ?
Il existe plusieurs sources possibles pour les cellules souches:
• les embryons humains surnuméraires issus de fécondation in vitro ou récupérés après avortement peuvent fournir des cellules souches totipotentes qui peuvent être mises en culture.
• les tissus adultes peuvent contenir des cellules souches multipotentes. Il convient de les sélectionner, les extraire et les mettre en culture. Cette méthode prometteuse en est encore au stade expérimental
• Les tissus spécialisés comme la moelle osseuse contiennent des cellules souches multipotentes capables de donner, par exemple, toutes les cellules sanguines
• Le sang ombilical du nouveau-né contient un grand nombre de cellules souches productrices de sang ainsi que d’autres cellules souches comme celles des muscles, des cartilages, du cœur ou du foie. Certains chercheurs envisagent même de conserver le sang ombilical des nouveaux nés afin qu’il puisse servir en cas de besoin de source de cellules souches compatibles lorsque cet individu sera atteint par la maladie.
• Une autre voie pourrait être utilisée pour obtenir des cellules souches possédant la même identité génétique que la malade: en prélevant le noyau d’une cellule somatique et en l’injectant dans un ovocyte humain énuclée, on peut obtenir un embryon qui servira de source de cellules indifférenciées spécifique de l’individu à traiter. Cependant, cette technique, issue du clonage, n’est pas encore au point et présente un rendement ridicule. De plus, les ovocytes humains sont une denrée rare!
• Il serait intéressant également de parvenir à transformer une cellule différenciée en cellule à caractère embryonnaire. En effet, n’importe quelle cellule contient dans son noyau la totalité de l’information génétique nécessaire à l’édification d’un organisme. Expérimentalement, cette alternance de dédifférenciation / redifférenciation est souvent observée au niveau du tube digestif et de ses annexes. Cette technique est cependant ardue, car ce type de transformation est précisément celui qui aboutit à la formation des cellules cancéreuses!

Des cellules souches sont déjà utilisées couramment en médecine
Lorsque l’on pratique une greffe de moelle osseuse, on réalise en réalité une greffe de cellules souches du sang. Ces cellules souches sont récupérées dans la moelle osseuse d’un donneur ou peuvent être extraites directement de son sang si l’on utilise auparavant un produit permettant d’en multiplier le nombre.
Les cellules injectées vont s’installer dans la moelle osseuse du receveur ou elles se multiplieront et donneront toutes les cellules sanguines. Les cellules souches ne sont donc pas toujours une thérapie du futur, mais sont parfois utilisées tous les jours dans la pratique médicale !

Nombre de difficultés subsistent
- l’injection des cellules dans un organisme est analogue à une greffe. Si les cellules fournies sont reconnues comme étrangères à l’organisme, elles seront détruites quel que soit leur intérêt thérapeutique! C’est dire l’intérêt des cellules souches découvertes récemment chez l’adulte, et qui ne déclencherait aucune réaction de rejet.
- les cellules sélectionnées injectées ne possèdent pas une durée de vie illimitée. Des cellules musculaires cardiaques, par exemple, sont restées viables 7 semaines seulement
- les cellules indifférenciées injectées chez l’adulte peuvent former une simple masse de cellules variées, analogue à une tumeur (tératome). La sélection et la différenciation contrôlée des cellules issues de souches doivent être efficacement contrôlées.
- les cellules souches embryonnaires doivent être prélevées sur des embryons humains. Dans nombre de sociétés et de cultures, cela crée des obstacles éthiques au développement de cette pratique.
- Les cellules obtenues demeurent isolées et sont incapables de s’associer pour former un organe déterminé. Au mieux, elles s’insinuent et colonisent un organe déjà formé. L’édification d’un organe est un processus complexe qui met en jeu des interactions entre des types cellulaires différents. Pour l’instant, ce processus n’est pas reproductible, mais on peut raisonnablement penser que les cellules souches ouvrent la voie vers la constitution, dans un futur relativement proche, de véritables organes de remplacement qui permettront de reconstruire l’homme et de lutter efficacement contre nombre de maladies aujourd’hui fatales.

Les cellules souches donnent donc l’espoir d’obtenir une reconstruction artificielle des organes gravement atteints, au premier rang desquels figurent le muscle cardiaque, les vaisseaux sanguins et le cerveau, organes dont l’altération figure au premier rang des causes de mortalité dans les pays industrialisés.

R.Raynal
Professeur
Dr .de l’université de Toulouse