La physique des lifters
Mars
2003
On
dit généralement que l’ambre attire les petits corps mais,
en fait, l’action est mutuelle et n’est pas plus le fait de
l’ambre que des petits corps déplacés vers lesquels l’ambre
aussi est attirée...
Magalotti, 1665 - Florence
Bien que l’élégance avec laquelle ces créations d’aluminium
et de bois décollent puisse sembler surnaturelle, il n’est
rien là de particulièrement mystérieux. Les concepts
explicitants le vol des lifters sont loins d’être de nature
à révolutionner la physique, et il s’agit en fait, nous
l’allons voir, de l’application ingénieuse de lois bien
connues dès la fin du 19ème siècle... et avant!
Espérons que ce petit exposé permette de déjouer les
analyses fumeuses qui courent sur le net, et qui laissent
entendre que l’on pourrait extraire de l’énergie du “vide
quantique” avec du fil de cuivre et une alimentation HT...
Ces élucubrations n’ont que le mérite de souligner
l’analphabétisme scientifique de leurs auteurs, adeptes du
“bootstrap” du baron de Munchausen, qui prétendait
s’envoler en tirant sur ses chaussures!
Les
condensateurs
Il n’est pas évident de voir le lien entre un lifter
majestueux et le petit composant électronique cylindrique
niché, entre autre, sous chaque touche de votre clavier
d’ordinateur. Et pourtant... Un condensateur, c’est tout
simplement un ensemble de 2 conducteurs séparés par un
milieu diélectrique, c’est a dire susceptible de se
conduire comme un dipôle (d’étre polarisé).
Un condensateur est donc un sandwich: une tranche d’isolant
entre 2 tranches de conducteurs. Une ddp appliquée entre
les conducteurs induit une accumulation d’énergie
électrique. Cette accumulation s’exprime en Farad (F) et
porte le nom de capacité du condensateur C=Q/V (Q= charge
accumulée en Coulomb, et V= ddp en V). La capacité dun
condensateur-lifter est de l’ordre d’une trentaine de pF
(picoFarad), ce qui correspond tout à fait à ceux utilisés
dans un téléviseur par exemple. La seule différence, c’est
la taille et le forme des électrodes, appelées armatures.
Tout autour des deux armatures se créé un champ électrique,
espace dans lequel s’exercent, selon des lignes
préférentielles, les forces créés par la ddp appliquée.
La plupart des condensateurs utilisés en électronique sont
symétriques: leurs deux électrodes sont de même dimension.
Cependant, rien n’empêche de créer des condensateurs dits
asymétriques, où une électrode est beaucoup plus étendue
que l’autre. Tel est le cas des “lifters”.
ci contre: lignes de champs entre les armatures d’un lifter en fonctionnement
Comment voler ?
Il n’existe que 3 façon de voler dans l’air, qui reviennent à contrôler l’écoulement d’un fluide.
- mettre en mouvement le gaz grâce à un profil d’aile générant une portance (avions, hélicoptères)
- accélérer fortement un gaz produit (réaction)
- aspirer l’air au dessus, le refouler en dessous (MHD, lifters)
Dans tous les cas, la force développée doit compenser le poids de la structure à faire voler.
Les lifters: des condensateurs volants
Un Lifter est un condensateur asymétrique qui, chargé avec une ddp élevée (20000V), produit une poussée dirigée vers son électrode la plus petite. Quelle est l’origine de cette force ? Elle n’a rien de mystérieux:
• Dans l’air existent des électrons libres, en faible quantité: les photons issus du rayonnement cosmique et de la radioactivité naturelle ionisent l’air en permanence. Les électrons libérés par ce bombardement photonique se lient rapidement à des atomes neutres pour former des ions négatifs. L'air atmosphérique contient ainsi en permanence
des ions négatifs et positifs. De plus, une forte ddp va provoquer une ionisation locale d’une portée limitée, et d’autres électrons libres vont être fournis par les molécules de N0 de l’air (et non par O2 ou N2).
Ci contre: mouvements des charges à l’origine du décollage des lifters. Explications dans le texte.
L'intensité du champ électrique nécessaire pour qu'un électron puisse, dans l'air, ioniser un atome est de l'ordre de 30 kV/cm. Cette valeur est compatible avec les alimentations utilisées.
• ce gaz (+) est attiré vers la jupe (-) et repoussé par l’armature +: il se créé un vent ionique. La collision des ions avec les molécules d’oxygène et d’azote met également ces dernières en mouvement, l’air est donc activement “pompé” du dessus vers le dessous de la structure. Par réaction, le condensateur subit une force dirigée vers le haut à l’origine de l’essentiel de sa force ascensionnelle. On peut noter que la forme du sommet de la jupe participe à la création d’un champ intense par un effet de pointe limité: le bord d’attaque de la jupe doit être arrondi, ce qui permet une concentration des changes (cf schéma) et cette différence de courbure entre le fil + et le bord de la jupe - modifie la topologie du champ électrique à l’origine des performances de l’appareil.
• en plus de ce phénomène, les électrons au dessus de l’armature + agissent de façon similaire, libérant des ions + qui percutent la jupe - . Il est possible que ces chocs soient assez énergétiques pour libérer des électrons de l’aluminium, auquel cas un effet répulsif supplémentaire propulse le dispositif vers le haut.
• le courant d’air créé peu être mis en évidence par de la fumée qui se retrouve projetée vers le sol par l’appareil. Certains notent aussi qu’en approchant la main d’un lifter, on constate un léger courant d’air à une distance de 10 à 15 cm (plus près, un claquage électrique est à craindre, 1 ddp de 1KV sur 1mm rendant l’air conducteur!)
Un premier bilan (des forces!)
Au final, il me semble que trois phénomènes concourent à faire voler les lifters:
• les forces d’attraction/répulsion électrostatiques liés à la génération de nuages ionisés (a et r)
• la réaction suite à l’expulsion à haute vitesse d’ions métalliques de la structure, cette dernière composante se maintenant dans le vide (e).
(le schéma ne représente que les forces tendant à faire voler l’engin)
Et après?
Il semble qu’il y ait beaucoup à gagner dans l’amélioration de la géométrie des armatures. De nombreuses formes ont été testées avec succès (hémisphères, cercles...). Le rôle de la jupe d’aluminium peut être reconsidéré, sa géométrie améliorée, surtout en ce qui concerne la conception de réacteurs modulaires. On pourrait aussi trouver aux lifters des applications non aéronautiques, comme le pompage par exemple.
R.Raynal
Avalanche électronique: un électron est libéré par un photon cosmique dans une région où règne un champ électrique. Cet électron va être soumis à une force et va acquérir une énergie cinétique (quelques eV) avant d’entrer en collision avec un atome neutre. Si à cet instant l'énergie acquise est égale ou supérieure à l'énergie d'ionisation de l'atome considéré, la collision va créer un nouvel électron libre. Ce processus est une ionisation par choc. Le nouvel électron se comporte comme son géniteur et crée à son tour un électron qui à son tour...
Références:
Bahder TB, Fazi C. Force on a asymetric capacitor , ARL, sept 2002
Hecht. E: Physique ed De Boeck université, 1999
L’auteur remercie JL Naudin pour sa gentillesse et les précisions qu’il lui a fournis.